Mort de La Hune
À Paris, chacun connaissait la librairie La Hune, fondée en 1949, idéalement placée entre le Café de Flore et Les Deux Magots, au 170 boulevard Saint-Germain, à deux pas de l’église Saint-Germain-des-Prés. Sur deux étages, ce temple de la littérature – ouvert le dimanche – était quasiment un monument historique, et comme
on y croisait physiquement de très grands noms : naguère, André Breton, Tristan Tzara, Henri Michaux ; plus tard, Alain Robbe-Grillet et Marguerite Duras.Or, en 1976, l’éditeur Flammarion acheta la librairie. Rien ne sembla changé, jusqu’au jour de 2012 où Flammarion décida de la déménager rue de l’Abbaye, pas très loin (c’est la rue qui passe derrière l’église), mais dans un local plus modeste. Désorientés, les clients habituels ont peu à peu cessé de la fréquenter, prélude en forme de premier pas vers une reconversion radicale : la transformation de la librairie en un de ces « espaces » à la mode, revendu à Louis-Vuitton, le marchand de sacs et de valises pour gens bourrés de fric. Décision accompagnée du baratin habituel : donner un nouvel « élan à la librairie, développer son chiffre d’affaires et sa rentabilité, redevenir la librairie en référence de Saint-Germain-des-Prés ». Vous connaissez la chanson, on nous la sert constamment et partout. En fait, le projet, détaillé par le magazine professionnel des libraires, prévoit exactement le contraire, et affirme que la librairie, qui va fermer, sera remplacée par un magasin de la chaîne Yellow Corner, qui vend des photos. On y fera donc, entre autres, des expositions, comme si les galeries manquaient dans le quartier !
Quant à la dizaine de salariés de la librairie, selon l’Agence France Presse, ils seraient recasés dans une librairie du Centre Pompidou. Bien sûr, on ne leur a pas demandé leur avis. Mais, rassurez-vous, l’endroit s’appellera toujours La Hune. C’est l’essentiel, non ?
Petit détail : le local où La Hune avait été déménagée appartient à la Mairie de Paris. Anne Hidalgo est décidément dans tous les sales coups : souvenez-vous des cadenas du Pont-des-Arts, et de la tour Triangle de 180 mètres de haut qu’elle voulait faire construire dans le Parc des Expositions de la Porte de Versailles ; comme le Conseil de Paris a rejeté son projet le 17 novembre dernier, elle insiste et a saisi le tribunal administratif – c’est ce qu’on appelle la démocratie et le respect des voix du peuple. Mais, au fond, elle ne fait que poursuivre le travail de sape consistant à saccager Paris pour livrer les lieux historiques aux démolisseurs et aux promoteurs, immobilier et autres. Les anciennes Halles sont devenues un forum hideux ; le cirque Médrano, à Montmartre, est aujourd’hui un immeuble banal avec un supermarché au rez-de-chaussée ; le plus grand cinéma de France, le Gaumont-Palace, démoli, est aussi devenu un immeuble d’habitation ; la gare de la Bastille a fait place à un opéra qui ressemble à un commissariat ; la plupart des cinémas des Grands Boulevards sont aujourd’hui des grands magasins ; et tout à l’avenant.
Je propose de raser Notre-Dame pour en faire un parking ou un hôtel, c’est très bien situé.