Dites-le avec une Fleur

Publié le par Yves-André Samère

Persuadé que non seulement le fond conditionne la forme, mais que cette influence est réciproque, je suis toujours attentif à la façon dont les gens parlent. Ainsi, hier matin sur France Inter, Patrick Cohen avait invité Fleur Pellerin, qui fait ministre de la Culture, pour l’interroger sur la grève de Radio France (j’avais cru que cette grève était terminée, mais non, elle continue, avec des coupures pour d’autres émissions). J’ai donc, plus tard dans la journée, téléchargé l’enregistrement en vidéo de l’interview, qui a eu lieu en direct après la chronique de Bernard Guetta, après 8 heures 20, et pendant un bon gros quart d’heure. La vidéo téléchargée ne dure que 13 minutes et 42 secondes, et je ferai plus loin une remarque sur cette durée. Donc, parlons d’abord de la forme.

Sur ces treize minutes et quelques, j’ai compté les diverses occurrences de « Voilà ! », dont la ministresse ne semble pas avare ; j’en ai relevé douze. Presque une par minute. Mais il y a mieux, car elle a aussi proféré pas moins de dix-neuf fois l’expression « Moi je », indiquant clairement, quoique inconsciemment, la haute idée qu’elle se fait d’elle-même.

Sur le fond, et interrogée à propos des moyens qu’elle préconise pour faire des économies (puisque l’une des causes de cette grève, c’est que les coûts de fonctionnement augmentent alors que les ressources, qui viennent beaucoup de l’État et un peu de la publicité, stagnent), j’ai noté qu’elle a, par trois fois, conseillé le « redimensionnement » des deux orchestres de Radio France. J’aime beaucoup ce vocabulaire, qui fleure bon son origine technocratique. Comment redimensionne-t-on un orchestre ? À part virer quelques musiciens, j’avoue que je ne vois pas. On va donc sabrer dans les effectifs, et avouez que ce régime aussi judicieux qu’amaigrissant ne peut qu’améliorer la qualité du son, produit par ces sources de tapage que sont les orchestres : si, au lieu de quinze violons, vous n’en gardez que trois ou quatre, il est évident qu’il y aura beaucoup moins de fausses notes, non ?

Toujours sur le fond, on ne pouvait pas ne pas remarquer que, puisque ces problèmes avaient été gravement négligés, cette Fleur qu’on nous a jetée un matin de septembre 2014 a fait dans le classique, ce qui est un indice de bon goût : elle a repoussé la responsabilité sur ses prédécesseurs, en s’accordant une fourchette de dix ans. Il est évident que, en 2005, ce n’était pas Hollande et encore moins Fleur Pellerin qui étaient les responsables de toute cette gabegie. Adroit...

J’ai dit en commençant que je ferais une observation sur la durée de l’enregistrement. Comme ma mémoire est assez bonne, je me souvenais fort bien de la façon dont l’interview, que j’avais écoutée en direct, se terminait ; et je désirais surtout réentendre la fin : Cohen lui demandait ce qu’elle pensait de la manière dont Mathieu Gallet s’était comporté à la tête de l’INA, et des dépenses excessives et non contrôlées de l’indidivu (je vous en ai déjà parlé, en m’appuyant sur « Le Canard enchaîné »). Ici, la dame a botté en touche, comme on dit : la chose ne la concernait pas ! Mais si, a insisté ce mal élevé de Cohen, vous avez aussi la tutelle de l’INA, donc cela vous concerne ! Rien à faire, entêtement de la donzelle, ce que Gallet avait pu faire à l’INA ne la touchait en rien. C’est l’équivalent du policier « Circulez, y a rien à voir », du balaiement des poussières sous le tapis dans le logis d’un célibataire, du « J’veux pas l’savoir » en vogue dans l’armée. Du grand art.

Quant à la coupure qui privait les auditeurs de la fin de la vidéo, je l’ai certainement rêvée : il ne peut pas y avoir de censure sous un gouvernement de gauche.

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :