Les trucs de scénario
Je vois beaucoup de films, et cela m’a donné le goût des astuces de dialogue et de scénario. Il m’arrive assez souvent de deviner ce que va dire un personnage, ou de m’intéresser à la manière dont les auteurs racontent une histoire, via un arsenal de trucs scénaristiques. Et justement, aujourd’hui, j’en ai trouvé un bon.
Il s’agissait d’un film allemand se passant au début des années 1960, dont le héros était un jeune procureur de Francfort, déterminé à débusquer les nazis dont son pays s’était fait l’exportateur – puisque la plupart de ceux qui étaient passés entre les mailles en 1945 avaient trouvé refuge à l’étranger, le plus souvent en Amérique du Sud, notamment grâce une filière créée par le Vatican et qu’on a surnommée « la filière des rats ». Je n’invente rien, l’Église catholique a toujours été du bon côté.
Il y a donc cette scène où le procureur et un ami journaliste sont dans un jardin public, assis sur un banc, ils chahutent un peu, et notre magistrat fait une chute en arrière. Tombant sur le dos dans l’herbe, il découvre qu’il a fait un accroc à une manche de sa veste. Ce détail n’ayant rien à voir avec le récit en cours, on passe à autre chose, et le spectateur n’y pense plus, sauf votre (très humble) serviteur, qui se dit que rien n’arrive au hasard, que ce minuscule incident n’a pas été filmé pour faire joli, et qu’on l’aurait coupé au montage s’il avait été inutile.
Effectivement, notre procureur avait une petite amie, or il découvre que le père de la fille, un ivrogne, a naguère été inscrit au parti nazi, ce que la fille ignorait. Il le lui révèle, elle le prend très mal et rompt avec son amoureux. Mais, quelque temps plus tard, le garçon est décidé à renouer avec son ex-fiancée, qui a créé un atelier de couture. Il se rend donc sur place, avec sa veste déchirée dans un sac, et lui dit qu’il désire vivement raccommoder ce qui a été déchiré. Sous-entendu, mettre fin à leur rupture. Il lui tend la veste, elle la prend, l’examine, réfléchit, puis la lui rend et déclare que l’accroc est trop grave pour être réparé. Elle conclut par le conseil de s’acheter une autre veste. Désappointé, il s’en va, comprenant qu’elle ne veut vraiment plus de lui. Pas un mot n’a été dit pour aborder directement l’objet de sa démarche, mais le spectateur du film a compris, lui aussi.
C’est avec ce genre de scène que les bons auteurs de scénario et de dialogue font comprendre au public ce qui se passe, sans recourir aux grossièretés habituelles des films basiques. Mais enfin, cela se produit assez rarement. Et, curieusement, presque jamais dans les films français. Chez nous, le gars qui a subi une rebuffade serait parti en disant « Bon ben faut qu’j’y aille ».