Les cent ans d’Orson Welles
Il fallait s’attendre à ce rabâchage du jour : on n’a cessé de nous parler des trois ans de François Hollande à la tête de l’État. Le bilan est si éblouissant que la chose s’imposait. En revanche, que ce 6 mai 2015 soit le centième anniversaire de la naissance d’Orson Welles, tout le monde s’en fout.
Welles, récemment, je l’ai un peu étrillé, et il le méritait : dans le privé, c’est un authentique salopard. Raciste, dénigrant tout le monde, y compris un ami, Peter Bogdanovich, qui l’avait hébergé durant des mois quand lui-même était dans la dèche, sabotant, par ses retards et ses exploits nocturnes dans les bars et les boîtes de nuit de Vienne, le tournage de ce chef-d’œuvre du grand Carol Reed qu’était Le troisième homme (pour faire grimper ses cachets, il faisait mine de ne pas vouloir se rendre sur place, et n’arriva que lorsque le film était presque terminé), refusant de tourner la fameuse scène dans les égouts au point qu’il fallut reconstruire ce décor dans les studios de Shepperton, à Londres (« Il a fait vivre un enfer à tout le monde », a témoigné John Hawkesworth, l’assistant du décorateur), têtu au point de donner à une de ses filles un prénom de garçon, Christopher, parce qu’il avait décidé que ce serait un garçon (à dix ans, elle a joué dans son Macbeth, son seul rôle), il n’empêche qu’il a été un authentique génie du cinéma, après avoir été un enfant précoce et doué pour tout : littérature, théâtre, cinéma, et... prestidigitation. Prodigieusement inventif et doté d’un culot à la mesure, à seize ans, ayant étudié à Harvard, il obtient de son tuteur l’autorisation d’aller voyager seul en Irlande, se présente au Gate Theatre de Dublin et raconte aux deux directeurs, Hilton Edwards et Micheál Mac Liammóir (ils joueront plus tard dans son Othello), qu’il est une vedette aux États-Unis, et se fait engager séance tenante. Il devient effectivement vedette du théâtre irlandais, avant de partir pour l’Espagne, où il s’initie à la tauromachie et vit en écrivant des romans policiers. Rentré à New York, il fonde une troupe, le Mercury Theatre, provoque quelques scandales dont une panique générale avec sa pièce radiophonique La guerre des mondes, et, après avoir réalisé deux courts métrages, se voit offrir à vingt-cinq ans la possibilité d’un long-métrage, avec le final cut – le droit au montage final, ce qui n’était jamais accordé à un réalisateur. Ce fut Citizen Kane, bien sûr, le seul film qu’il a mené à bien de bout en bout, et qui lui valut la haine perpétuelle du plus gros patron de presse des États-Unis, Randolph Hearst, qu’il avait pris pour modèle de son personnage Charles Foster Kane.
Welles a travaillé partout, y compris en France, au théâtre Édouard VII où il jouait en français (il disait lire Montaigne chaque semaine, dans le texte original), au cinéma, pour son film Le procès tourné dans l’ancienne Gare d’Orsay – devenue le Musée d’Orsay –, et pour la télévision française – Une histoire immortelle, avec Jeanne Moreau. Quels qu’aient été ses techniciens, dont il changeait souvent (pour Othello, officiellement, cinq directeurs de la photo et quatre monteurs), son style d’image reste très personnel et reconnaissable tout au long de sa carrière.
Eh bien, j’ai vérifié le peu de cas qu’on fait en France de cet anniversaire : aujourd’hui, aucun cinéma de Paris, ni privé ni public, ne programme un de ses films. Le Forum des Images l’ignore, et la Cinémathèque ne passera Othello que... le 12 juin, alors que le film en DVD et Bluray est en vente partout. Seul le Festival de Cannes, la semaine prochaine, programmera deux courts métrages faits pour la circonstance, plus trois de ses films : Citizen Kane, Le troisième homme (où il n’est qu’interprète) et La dame de Shanghai.
C’est un peu mince.