Les gros salaires des patrons
Entendu ce matin sur France Inter un quidam dont je n’ai pas retenu le nom et pas davantage la fonction – sans doute un passant qui ne connaît rien à la question, comme d’habitude à la radio –, auquel on avait demandé son avis sur la contestation de plus en plus répandue des énormes salaires que perçoivent les patrons des grosses firmes. Or le quidam, très pro-patron, s’insurge, argüant que les footballeurs, eux, « gagnent en un mois » ce qu’un grand patron touche en un an.
Stupide.
D’abord, aucun footballeur ne gagne en un mois l’équivalent du salaire de, par exemple, Carlos Ghosn, le PDG de Renault, dont la rémunération va passer de 2,67 millions annuels à... 7,22 millions ! Voir ICI.
Ensuite, et bien que je n’ai aucune sympathie pour ces inutiles que sont les joueurs de football, on doit reconnaître que, même s’ils deviennent des vedettes très bien payées, leur carrière est relativement courte. Un patron du CAC 40, lui, est assuré de vivre comme un nabab jusqu’à l’âge de SA retraite, qui n’a rien à voir avec ce qui a court dans le football.
Enfin, et cet argument n’est jamais avancé dans les débats, les footballeurs ne décident pas du montant de leur salaire. Ça, c’est la prérogative des dirigeants de clubs sportifs, et ils l’exercent en fonction de ce que rapportent aux clubs les résultats de leurs joueurs. Alors qu’au sein du patronat, cela ne se passe pas ainsi : on ne compte plus les cas de patrons ayant obtenu de très mauvais résultats (cherchez qui était Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel), et qui se votent à eux-mêmes de faramineuses augmentations.
Oui, je sais, vous allez objecter qu’en réalité, c’est leur conseil d’administration qui fixe le salaire des dirigeants. Mais regardons-y de plus près : qu’est-ce qu’un conseil d’administration ? Un conseil d’aministration, c’est une assemblée... de patrons ou équivalents, où l’on entre par cooptation, c’est-à-dire que les membres déjà présents choisissent ceux qui vont y entrer. Pour la raison bien simple qu’au sein d’un conseil d’administration, tout fonctionne selon le principe du renvoi d’ascenseur : tu votes une augmentation de 60 % de MON salaire chez Peunault, et je vote le doublement de ta retraite chapeau chez Mortendi. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette.
Seul remède, la vague qui commence à déferler chez les petits actionnaires, lesquels, de plus en plus, se scandalisent des rétributions scandaleuses dont bénéficient leurs dirigeants, et sur quoi ils ont un droit de regard... dont ils ont tort de ne pas user plus souvent. Mais cela va changer. Peut-être. Pas assez vite.
À ce propos, j’ai plusieurs fois écrit qu’être actionnaire d’une société et toucher des dividendes, ça n’a rien d’immoral. Comme disait Jean-Paul Belmondo à Emmanuelle Riva dans Léon Morin, prêtre (de Jean-Pierre Melville, en 1961), « Quand vous ensemencez, vous n’avez pas envie que ça pousse ? ». Quand vous mettez votre argent dans une société, il est normal d’espérer quelque profit. Sinon, vous êtes un gogo.