Votre prénom vous trahit
Depuis hier, tout le pays bruit (pas « bruisse », s’il vous plaît !) du dernier scandale à la mode : Robert Ménard, maire de Béziers que le Front National a aidé à se faire élire, aurait procédé dans les écoles à des « statistiques ethniques ». Autrement dit, il aurait fait établir une liste des enfants des écoles de Béziers selon leur religion.
Je ne sais pas, moi, si ce genre de statistiques est moral ou pas, et je remarque surtout que les adversaires et les partisans de ce truc se répartissent dans les deux camps, droite et gauche, donc ce n’est pas moi qui vais trancher la question – dont, au demeurant, je me fiche. Mais deviner la religion de quelqu’un en voyant son prénom, voilà le dernier gag désopilant, en cette actualité qui en est un peu avare. De sorte que si vous pensez, comme moi, que le prénom de quelqu’un n’est pas forcément un indice sur la religion qu’il pratique (qu’il subit ?), vous pourriez mettre d’accord tous ces bavards en leur balançant quelques contre-exemples pas piqués des vers. Sans trop chercher, en voici une pincée :
- premier contre-exemple, Youssef Chahine. Ce réalisateur égyptien, qui est mort en juillet 2008, a réalisé quelques films pas mal du tout (et aussi quelques navets), et a mis en scène le Caligula d’Albert Camus à la Comédie-Française, vous le classeriez parmi les musulmans à cause de son prénom ? Désolé, c’est faux ! Fils d’une mère grecque et d’un père égyptien, il était copte, donc chrétien ! Et tous ses amis l’appelaient Joseph, ou plus simplement Jo.
- deuxième exemple, Omar Sharif. Là, je triche un peu, car il portait un pseudonyme : s’il était né à Béziers plutôt qu’Alexandrie, on l’y aurait inscrit, à la mairie, sous le nom de Michel Demitri Chalhoub. Bref, un premier prénom français considéré comme chrétien (en fait, Michel, c’est plutôt juif), suivi d’un second prénom russe, avec un patronyme musulman. Il appartenait à l’Église grecque-catholique melkite. Certes, par la suite, il s’est converti à l’islam afin de pouvoir épouser une actrice musulmane, mais ils ont ensuite divorcé. Que voulez-vous tirer de cet amalgame ?
- troisième contre-exemple, le général Omar Bradley. Il s’est illustré aux côtés du général Patton durant la Deuxième guerre mondiale, et j’avoue ne pas savoir pourquoi ses parents, qui se prénommaient John Smith et Mary Elizabeth, lui ont donné ce prénom. Mais je doute fort que, né dans le Missouri en 1893, il ait pu être musulman !
- quatrième contre-exemple, Jalil Lespert. Excellent acteur français quoique mauvais réalisateur, il a aussi un jeune frère prénommé Yaniss (qui jouait le livreur de pizzas dans Le prénom, justement), lequel me fournit ainsi un ex-æquo. Et si leur mère est une juriste kabyle, leur père, également acteur, se prénomme Jean. Ça n’en fait pas des musulmans.
Donc monsieur le maire de Béziers devrait retourner à l’école. Dans la liste des élèves, on inscrirait son nom parmi ceux des (bons) chrétiens.