Traduire, oui, mais comment ?
J’achève en ce moment la lecture d’un roman de Douglas Kennedy, dont je n’avais rien lu jusque là. Ce Kennedy vit à la fois à Londres, Paris et Berlin, ses livres se vendent bien, et il parle presque parfaitement le français – presque aussi bien que Jonathan Littell, qui s’est offert le luxe d’écrire directement en français son roman Les bienveillantes, et a décroché le Prix du roman de l’Académie française et le Prix Goncourt du premier coup, en 2006 !
Le livre de Kennedy, intitulé Cinq jours, raconte à la première personne l’histoire d’une femme quadragénaire, ayant perdu son fiancé vers l’âge de vingt ans et qui, perturbée, n’a pas pu mener à bien ses études de médecine, si bien qu’elle a dû se contenter d’un travail de technicienne en imagerie médicale dans un hôpital d’une petite ville de province du Maine. Mariée avec un homme matérialiste et qui dédaigne les aspirations « intellos » de sa femme, elle a deux grands enfants, très différents, et qu’elle adore. Mais, au cours d’un voyage à Boston pour assister à un congrès médical, elle rencontre l’homme idéal, et prend conscience qu’elle a raté sa vie.
Le livre est intéressant, il se lit avec facilité, et la clarté qu’il manifeste me laisse penser que l’auteur écrit bien. Malheureusement, la traduction, due à un certain Bernard Cohen, est mauvaise, et c’est le point auquel je voulais en venir : comment sais-tu, bille de clown, pensez-vous, que ce livre est mal traduit si tu n’as pas vu le texte original ?
Eh bien, c’est très simple ! Si, dans un texte anglais traduit en français, vous voyez traîner des mots et expressions comme au final, ou incontournable, ou le verbe réaliser dans le sens de comprendre, ou les verbes débuter et démarrer utilisés avec un complément d’objet direct, autant de sottises n’existant qu’en français chez les nuls et les journalistes (pardon pour le pléonasme), vous pouvez à coup sûr en déduire que le traducteur ne connaît pas, justement, le français. J’en reviens donc à ce que j’ai dû écrire ici plusieurs fois, en m’appuyant sur ce qu’en disait Vladimir Nabokov, qui a fait une triple carrière de grand écrivain, d’abord en russe, puis en français, puis en anglais, et qui était aussi traducteur des œuvres russes ; à savoir qu’un bon traducteur, évidemment, doit bien connaître la langue à partir de laquelle il traduit, mais surtout, connaître parfaitement celle vers laquelle il traduit.
Pardon de parler de ma propre expérience, mais, si je suis capable de traduire de l’anglais et de l’espagnol vers le français, ce que j’ai fait souvent, je serais incapable de traduire dans l’autre sens. Et si vous me faites l’honneur de lire de temps en temps mes petits écrits, vous savez qu’au nombre de mes têtes de Turc, il y a les faiseurs de sous-titres, qui croient connaître l’anglais, l’italien, l’allemand ou l’espagnol, mais dont on voit bien qu’ils ignorent le français ! Et je n’exagère pas.