Déclin du cinéma

Publié le par Yves-André Samère

Aujourd’hui, presque tout un chacun possède, soit un caméscope, soit un smartphone, voire les deux à la fois. Et donc, se croit capable de faire des vidéos et, pis que cela, de les mettre en ligne sur Youtube, DailyMotion ou Vimeo.

Les cinéastes se sont évidemment engouffrés dans la brèche, et la mode s’est installée, de réaliser le plus souvent les films professionnnels avec une petite caméra que le cadreur porte sur son épaule. Il est loin le temps (1948) où Alfred Hitchcock filmait La corde avec une caméra qui pesait trois cents kilos !

Le résultat est désastreux. D’abord, l’appareil bouge sans arrêt, au point de vous donner le mal de mer. Il m’est arrivé deux ou trois fois de quitter la salle parce que, au bout de dix minutes, je ne supportais plus cette danse de Saint-Guy permanente. Mais le pire est dans les esprits des réalisateurs, pire qui consiste à penser que, puisqu’il est si facile de tout filmer, allons-y, filmons tout ! Si bien que la caméra, désormais, capte les moindres détails d’une scène, au lieu de n’en conserver que ce qui importe vraiment.

Par exemple, et je n’invente rien : un personnage ouvre la porte d’un réfrigérateur, et le cadreur se penche pour bien nous montrer ce que contient le réfrigérateur, généralement un yaourt périmé et deux cannettes de bière ; un autre laisse tomber ses clés par terre, la caméra se dirige vers les clés pour mieux nous les faire admirer ; un personnage, assis sur un canapé, veut téléphoner, la caméra part de son visage, se dirige vers sa main et la suit qui descend en direction du téléphone, la filme composant le numéro, le personnage décroche le combiné, le porte à son oreille, la caméra suit fidèlement le trajet de la main tenant le combiné, mais personne ne répond, alors le personnage repose le combiné sur le téléphone, et le spectateur ne perd pas une miette du nouveau trajet. Puis on remonte vers son visage, il réfléchit, se ravise, décide d’insister, la main redescend vers le téléphone, on la montre composant à nouveau le numéro, et ainsi de suite. Je vous jure que j’ai VU cela, c’était dans le deuxième film du petit Xavier Dolan, tenu partout pour un génie... Mais un génie du cinéma aurait coupé tout cela, et aurait sauté directement à la conversation téléphonique, sous réserve qu’elle ait eu lieu. Étonnez-vous, après cela, que le moindre film dure deux heures et demie.

À quoi servent ces gesticulations ? Le principe fondateur du cinéma, depuis ses débuts, c’est de montrer ce qui est significatif, ce qui a une conséquence sur le récit, et seulement cela. Tout le reste est du gaspillage de temps, de pellicule naguère (on n’utilise plus guère de pellicule), et d’argent dans tous les cas. Je ne dis rien de l’énervement du spectateur, qu’on a dérangé – moyennant finance – pour ne rien lui montrer.

Publié dans Absurdités, Cinéma

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

M
Entièrement d'accord avec vous. Il y a pour ma part deux choses que je ne SUPPORTE pas : d'une part la caméra tremblante à l'épaule (censée "faire vrai" lorsqu'il s'agit de suivre le déplacement d'un personnage - alors qu'il n'y a rien de plus factice : ça tremble comme ça quand on marche ?) et d'autre part l'utilisation systématique de longues focales associées à des gros plans, ce qui fait que l'on ne voit rien d'autre à l'image que le visage (en entier si l'on a de la chance) des acteurs, sans aucune profondeur de champ ou vision d'ensemble de la scène.<br /> Deux plaies qui sont malheureusement omniprésentes, aussi bien dans les films à gros budgets, où elles permettent de compenser l'absence totale de cohérence spatiale des scènes filmées, que dans les films "d'auteur" - si vous avez vu "La loi du marché" vous savez de quoi je veux parler...<br /> J'aurais pu ajouter le découpage épileptique des plans, mais ce sera pour une prochaine râlerie !
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Y
Pour filmer le déplacement d’un personnage où qu’il aille, il existe un outil merveilleux, la steadicam. Évidemment, cela coûte plus cher, car il faut engager au moins deux techniciens, dont un de haut niveau. Pour les gros plans pris au téléobjectif, se souvenir de ce qu’Hitchcock a dit à Truffaut au sujet des plans généraux : il ne faut pas les « gaspiller » en les multipliant, sinon, c’est de l’amateurisme. Les grands maîtres, ceux qui avaient appris le métier en étant assistants durant des années, ne tombaient pas dans ces pièges. <br /> <br /> Je n’ai pas vu « La loi du marché », ce qu’on en a dit m’a découragé par avance.