Le masque et la plume : les animateurs
Le masque et la plume n’aura connu que trois animateurs, ou plutôt quatre, puisqu’il a démarré en 1955 avec un tandem, Michel Polac et François-Régis Bastide, sur lesquels j’ai eu quelques mots gentils dans mon article précédent. Polac étant parti, c’est donc Bastide qui a tenu – mollement – la barre de 1955 à 1982, soit durant vingt-sept ans. Il faut dire que le travail n’est pas écrasant, puisque cela consiste à choisir les œuvres qui seront critiquées, puis à conduire deux enregistrements de cinquante-cinq minutes, une fois toutes les deux semaines, généralement le jeudi à partir de vingt heures. Rythme qui n’est pas incompatible avec les vacances, même si l’émission n’en prend jamais !
Mitterrand élu à la présidence en 1981, il nomme presque aussitôt Bastide ambassadeur de France au Danemark, ce qui provoquera un sarcasme de son successeur Pierre Bouteiller (« Logiquement, dans vingt-sept ans, je devrais être nommé ambassadeur de France au Danemark »). Mais lui est un véritable homme de radio, et va rester en poste jusqu’en 1989, où il laisse hélas la place au roi du copinage Jérôme Garcin. Voir plus loin.
Bouteiller possède une main de fer dans un gant de velours, supprime l’inutile pianiste que Bastide avait imposé, décide de choisir lui-même les œuvres dont les critiques parleront, bref, c’est un vrai chef, mais sachant tempérer son autorité par un esprit dont on ne trouve plus d’exemple sur aucune radio désormais. Il faut dire qu’il a conservé une autre émission sur France Inter, son Magazine quotidien, qui dure une heure – donc lui travaille réellement –, et où il sera le seul intervieweur à faire parler Woody Allen en français durant l’émission entière. Pianiste, grand amateur de jazz, Bouteiller est ensuite devenu directeur de France Musique, où il ne s’est pas fait que des amis (il avait osé rebaptiser la chaîne France Musiques, au pluriel !), car il n’était guère influençable.
Jérôme Garcin, qui lui succède et qui est toujours en place, a le bras long, car, directeur-adjoint de la rédaction du « Nouvel Observateur », il en dirige aussi les pages culturelles, y écrit des critiques littéraires, prétend ne pas donner son avis sur les films mais le fait sans cesse au micro (« Nous vous ORDONNONS d’aller voir La graine et le mulet, dira-t-il aux auditeurs à propos de ce navet de Kechiche), et il est membre de nombreux jurys littéraires, où l’on se fait des amitiés utiles. Si bien que ses propres ouvrages reçoivent des critiques élogieuses, puisque ce critique littéraire se double d’un écrivain, deux activités difficilement compatibles ! Paradoxe dont il avait eu le culot de parler dans une émission de Thierry Ardisson, mais... il y a vingt ans : « Je crois qu’on ne peut pas faire ce métier de critique littéraire, de journaliste culturel [et être écrivain]. On ne peut pas être juge et partie. […] Je n’arrive pas à penser sérieusement qu’on puisse dire ce qu’on pense chaque semaine, sinon chaque jour, et, en même temps, aller soumettre aux confrères tous les ans sa petite production. Je crois que c’est ce qui a gangrené ce milieu ». Gangrené le milieu, il parlait en orfèvre...
Et, outre les faits que rappelle cet article, je ne suis pas le seul à avoir noté que, le 5 juin 2008, le romancier Jérôme Garcin a reçu un prix littéraire, le prix Duménil, créé par Alain Duménil, PDG du groupe de luxe Alliance Designers, propriétaire de la société immobilière Acanthe Developpement, à la tête d’une fortune de 468 millions d’euros, et que ce prix était accompagné d’une somme de soixante mille euros, qui sont donc tombés dans sa poche ; or le plus drôle était ici : le jury du prix Duménil, décerné à l’hôtel Montalembert, un hôtel de luxe à Saint-Germain-des-Prés, était composé de trois journalistes appartenant à un groupe, celui du « Figaro », et d’un cinéaste, Pascal Thomas, dont on se demande ce qu’il faisait là puisqu’il n’est pas écrivain, mais dont Le masque et la plume a toujours dit grand bien, ce qui est certainement un autre hasard. Les trois journalistes étaient Stéphane Denis, éditorialiste au « Figaro », chroniqueur littéraire au « Figaro Magazine » et romancier ; Marc Lambron, critique littéraire au « Figaro Madame », au « Point » et romancier ; et Éric Neuhoff, critique de cinéma au « Figaro », critique littéraire au « Figaro Madame », romancier, et... critique de cinéma dans l’émission de Garcin sur France Inter, Le masque et la plume !
Le monde est admirablement fait, quand on a la chance de n’avoir aucun scrupule.