Déboulonnons : Jacques Rivette
Comme le cinéaste Jacques Rivette est mort aujourd’hui à 87 ans, je n’ai pas été surpris que, conformément à la règle admise par tous, « tous les morts sont de braves types » (merci, Brassens !), cette nouvelle ne lui attire que des éloges. Nul, par conséquent, ne vous dira que Rivette n’a dû sa notoriété qu’au fait qu’Yvonne De Gaulle avait fait pression sur le ministre responsable pour que son film La religieuse, d’après Denis Diderot, soit interdit totalement parce qu’il gênait cette fanatique de la bondieuserie, ni que Rivette faisait des films interminables et mortellement ennuyeux (son Out 1 : Noli me tangere durait douze heures et quarante minutes !), par exemple celui qu’on cite toujours, Paris nous appartient, une histoire fumeuse d’espions et de complot.
On ne vous dira pas davantage que Rivette, quand il était encore critique de cinéma, avait écrit en 1959, dans « Les cahiers du cinéma », un article venimeux contre le cinéaste italien Gillo Pontecorvo (plus tard auteur de La bataille d’Alger et de la fable très anticolonialiste Queimada, avec Marlon Branco). Pontecorvo était un ancien résistant italien, homme de gauche, humaniste, et tout et tout, mais il avait commis un crime affreux : dans son film Kapò, il avait inséré une scène où l’on voyait une prisonnière, incarnée par Emmanuelle Riva, qui, pour avoir tenté de s’échapper d’un camp de concentration, était abattue à la mitraillette, et son corps s’affalait sur les fils de fer barbelés de la clôture ; à cet instant, le cinéaste recadrait l’image pour « mettre en valeur », estimait Rivette, la main pendante du corps inerte, filmée en contre-plongée. Cette façon d’enjoliver (sic) une mort violente lui attira les insultes de la critique des « Cahiers du cinéma », Rivette en tête – il en est devenu le patron en 1963.
Et voici ce que Rivette avait écrit, dans le numéro 120, sous le titre De l’abjection : « Voyez cependant, dans Kapò, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris ».
Remarquez, après un simple coup d’œil sur les trois photos que je vous propose, que sa description était inexacte, donc mensongère et malhonnête, puisque la main n’aboutit pas dans un angle, mais exactement au milieu du bord supérieur de l’image, donc de façon beaucoup moins esthétique ! Mais on ne voit que ce que l’on veut voir.
Et maintenant, rions un peu : trente ans plus tard, lors de la sortie du film en DVD, et enfonçant le clou au-delà des limites du ridicule, un autre critique, Serge Daney, en remettait une couche, tout en admettant... n’avoir jamais vu le film ! Ces censeurs moralistes, tous plus ridicules les uns que les autres.