Nos cinq sens (moins deux)
Une de mes lectrices, Perrine, qui d’ailleurs écrit fort bien, me fait savoir qu’elle est aveugle. Notez que je ne dis pas qu’elle est « non voyante », je ne suis pas faux-cul à ce point. Là-dessus, j’approuve ce que disait Pierre Desproges à propos des sourds-muets, mais aussi des aveugles, et que vous pouvez réécouter ICI.
Perrine réagissait donc à mon article sur le choix (hypothétique) que je faisais entre la surdité et la cécité, et où j’écrivais que je préfèrerais, de loin, être sourd qu’aveugle. Elle n’était pas de mon avis, mais là n’est pas la question, car je n’ai aucun projet de cet ordre. En fait, je dissertais un peu sur une phrase d’un auteur plutôt estimable, Daniel Pennac, dans son roman Journal d’un corps. Et, au départ, je voulais faire une sorte de banc d’essai concernant nos cinq sens, et donc, m’amuser un peu, puisque je crois, moi aussi, qu’on peut et qu’on doit rire de tout.
Et puis, ayant commencé, je n’ai pas terminé, comme souvent. Le nombre d’articles que j’ai commencés, puis que j’ai oublié de terminer, est impressionnant : on croirait voir Hollande oublier ses promesses électorales de 2012. Je m’y remets donc, avant que ma mémoire de poisson rouge perde le souvenir du présent paragraphe.
Donc, nos cinq sens – je ne crois pas à cette fable du sixième – sont la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Laissons la vue et l’ouïe puisque j’en ai parlé, et voyons les trois autres.
On donne assez peu d’importance au toucher, et il est vrai que c’est le sens auquel on pense le moins. Il est pourtant d’une importance capitale pour les pianistes, les violonistes, les sculpteurs, etc. Passons, car c’est évident.
L’odorat s’avère davantage, pour les humains, un inconvénient qu’un bienfait. Qui ne se pincerait le nez lors de l’agression d’une mauvaise odeur ? Si vous n’êtes jamais entré dans ce local d’un abattoir où un équarisseur dépose le résultat de son travail, avec les cadavres grouillant d’asticots, ne peut pas savoir combien, à cet instant précis, on regrette d’avoir un nez. Évidemment, le point de vue est différent si on travaille à Grasse, dans une parfumerie : là, vous êtes plus qu’un simple vendeur de sent-bon, vous êtes un NEZ !
Le goût, c’est personnel. Je ne m’intéresse pas du tout à la nourriture, je suis très capable de ne manger que des légumes tous les jours, la gastronomie ne m’inspire aucune de ces folies laudatrices remplissant les pages des journaux et les émissions de télévision, et je tiens les « grands » cuisiniers pour des escrocs vantards, plus aptes à faire leur publicité personnelle qu’autre chose qui vaille. À la radio, pas une semaine ne se passe sans qu’un cuisinier soit invité pour venir se vanter d’avoir encore ouvert un nouveau restaurant, un de ces endroits où vous pouvez dîner pour l’équivalent de trois mois de salaire d’un ouvrier. Et je ne me lasserai jamais de répéter qu’en Afrique, la majeure partie de la population pauvre se contente de riz tout au long de sa vie. Se goinfrer de truffes (j’en ignore le goût), de caviar, de foie gras et autres aliments de luxe alors que tant de gens crèvent de faim, c’est d’une indécence sans nom, et je pense qu’on n’a pas à faire de la retape pour ce genre d’industrie. Cela précisé, peu importe si on voit en moi un béotien dépourvu de ce raffinement si prisé dans le sixième arrondissement de Paris.