Résister au présent
Lundi, à l’occasion de son entrée à l’Académie française, France Inter avait invité Alain Finkelkraut, qui, parlant à l’intervieweuse Léa Salamé, après avoir dit son étonnement de « l’état de la mémoire contemporaine », a cité ce mot de Gilles Deleuze, philosophe, mort suicidé (il s’est jeté par la fenêtre) il y a vingt ans : qu’il était important de « résister au présent ».
C’est tout à fait ma façon de penser. Ce qui ne signifie pas qu’on doive radoter le sempiternel « c’était mieux avant », puisque, justement, pour rien au monde, je ne revivrais les années passées, et que, par exemple, je ne revois jamais mes camarades d’enfance, tout autant que je décline leurs invitations à retourner les voir dans les villes que j’ai quittées, où certains vivent toujours.
Mais ce à quoi on doit résister, c’est à la vulgarité des mœurs contemporaines ; aux modes langagières, vestimentaires, touristiques ; au raz de marée de la publicité ; aux objets inutiles qu’on essaie de nous vendre (avec succès, le plus souvent) ; aux émissions de télé abêtissantes, animées par des crétins surpayés ; aux films idiots qu’on nous fourgue sous prétexte que leur auteur est « génial » (évidemment, même un hamburger est génial, aujourd’hui) ; aux romans écrits avec les pieds sur lesquels le public se jette ; aux musiques jouées à coups de marteau ; aux danses qui ne sont que trémoussements et gigotements pathétiques de semi-paralytiques ; aux critiques de cinéma truffées de références à la psychanalyse ; aux discours abscons et mensongers ; aux imposteurs des partis politiques ; au rire à tout prix des humoristes ; aux mises en scène de théâtre dans lesquelles le metteur en scène se croit tellement plus intelligent que l’auteur, qu’il n’a d’autre ambition que de le « dépoussiérer » ; aux chansons réduites à quelques paroles borgborythmiques (oui, cet adjectif existe) ; aux alibis culturels enveloppant des œuvres de pure pornographie, aux... Mais je vous laisse compléter la liste.
Alors, évidemment, si vous résistez à tout ça, vous ferez le vide autour de vous. Et alors ? Les moutons de Panurge vous manqueraient ?