Prendre les spectateurs pour des ignares
Autrefois, les films de langue anglaise étaient traduits en français par des dialoguistes ou des sous-titreurs soucieux de faire comprendre, aux spectateurs ignares que nous étions, les subtilités des civilisations étrangères. Si bien que, lorsqu’une histoire se passait aux États-Unis et qu’il était question du 4 juillet, qui est la Fête nationale là-bas, on remplaçait cette date par le 14 juillet bien de chez nous. Il fallait trouver des équivalences pour que nous comprenions bien. C’était très aimable.
Aujourd’hui, on a laissé tomber ce genre de précaution, mais on en a trouvé d’autres. Sachant qu’il ne faut surtout pas « choquer » les âmes sensibles que nous sommes devenus, c’est le langage qu’on ripoline au politiquement correct. J’ai raconté il y a quelque temps ce détail curieux ayant affecté les sous-titres d’un excellent film anglais de 1955, The dam busters. Il y avait là un personnage qui possédait un chien noir appelé Nigger (en français, nègre), ce qui, en 1955, ne dérangeait personne (et surtout pas Léopold Sédar Senghor, qui a fait de la négritude une sorte d’étendard). Mais, lorsque j’ai vu le film à la télévision dans une version rénovée dont les sous-titres avaient été refaits, Nigger était devenu Trigger (en français, gâchette). Non seulement c’était idiot, mais cette censure produisait l’effet inverse, puisqu’on n’avait pas pu modifier la bande sonore et qu’on entendait toujours « Nigger » lorsque le maître appelait son chien ! Le sous-titreur trop zélé n’avait pas entendu parler de Gribouille, ce personnage qui plongeait dans la rivière pour échapper à la pluie, et qui doit être l’ancêtre des homéopathes, à mon avis.
Mais, dans les pays de langue anglaise, on n’hésite pas à censurer la bande sonore, et les émissions de télévision états-uniennes sont truffées de bips destinés à couvrir certains mots, euh... laids. Comme il ne faudrait surtout pas ternir l’innocence des enfants de ce pays, impossible de leur laisser entendre des termes comme bitch, fuck ou shit, qu’ils ignorent évidemment et qu’ils pourraient répéter. Et puis, il existe cette équivalence au célèbre Merde ! que les acteurs français disent ou écrivent à leurs chers confrères lorsqu’ils jouent une pièce pour la première fois, mot censé leur porter chance. Eh bien, aux États-Unis, on ne profère pas une telle horreur, on dit plutôt “Break a leg!” (« Casse-toi une jambe ! »). C’est beaucoup plus gentil. Et j’imagine que si notre général Cambronne avait su ce détail, il se serait mieux fait comprendre du général Wellington, et nous aurions certainement gagné la bataille de Waterloo !