Comment s’ennuyer ?
Dans une scène de Pierrot-le-Fou, de Jean-Luc Godard, on peut voir Anna Karina qui arpente une plage en gémissant d’une façon lancinante et assez sotte « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! ». Autrement dit, elle s’ennuie.
Je n’ai jamais compris comment on pouvait s’ennuyer, si on dispose de ses cinq sens, et plus particulièrement de la vue et de l’ouïe. Avec vos yeux, vous pouvez toujours lire ; grâce à vos oreilles, vous pouvez toujours écouter la radio, ou de la musique, ou suivre une conversation. Mais être privé des deux, ce doit être affreux.
En une seule circonstance, dont je vous ai parlé deux fois me semble-t-il, j’ai été privé de la vue et de l’ouïe, parce qu’enfermé des nuits entières, seul, dans une pièce sans aucune lumière, où je ne disposais de rien d’autre que mon imagination. Or vous savez à quel point je manque de cette faculté, l’imagination. Mais ce doit être un indice de sagesse profonde, puisqu’on dit que l’imagination est la folle du logis. Moyennant quoi, je ne me suis jamais ennuyé, de ma vie. C’est plutôt l’inverse, et chaque jour je regrette que mes journées ne durent pas quarante-huit heures.
J’ai une amie d’enfance, Liliane (non, pas celle à laquelle vous pensez) qui est aveugle, quoique pas de naissance. Je la plains infiniment. Heureusement, il lui reste le téléphone. On va finir par croire que ces engins servent à quelque chose.