Populaire, « Tante » Yvonne ?!
On lit parfois, à droite et à gauche (mais surtout à droite), et c’est encore arrivé il y a quelques jours, que madame De Gaulle « était surnommée affectueusement “Tante Yvonne” » par les Français. Jusqu’où peut aller la propagande !
Yvonne De Gaulle était bien surnommée ainsi, mais pas affectueusement ! Plutôt comme Tatie Danielle, incarnée à l’écran par Tsilla Chelton et qui était une horrible mégère. En réalité, les Français la connaissaient comme une affreuse bigote sans cœur et impitoyable. La vérité est que la seule épouse de président qui a été aimée par les Français s’appelait Germaine Coty, elle était la femme de René Coty, le dernier président de la Quatrième République, et, lorsqu’elle est morte à 69 ans d’une crise cardiaque durant le mandat de son mari, c’est une foule immense qui l’a accompagnée à sa dernière demeure, comme on dit dans les journaux bien écrits. Sa bonté envers les pauvres était bien connue, pas usurpée, et elle ne se mettait jamais en avant. J’ajoute que, catholique pratiquante, jamais elle ne joua les dames patronesses se mêlant de tout, et ce n’est pas elle qui, à l’instar de madame De Gaulle, aurait fait renvoyer une servante pour cause de grossesse hors mariage, ou une speakerine de la télé sous le prétexte qu’on y avait vu ses genoux – pauvre Noëlle Noblecourt...
Alors que son mari ne pensait pas à l’argent et ne désirait pas vivre dans le luxe, elle allait faire ses courses d’alimentation chez Fauchon, épicerie pour milliardaires sise Place de la Madeleine, où les prix sont de dix à vingt fois plus élevés qu’ailleurs (je sais de quoi je parle, j’y suis allé), et où elle se rendait régulièrement dans une voiture de la présidence. Cette même épicerie où Bernard Kouchner, qui était alors de gauche, a un jour, en compagnie de quelques copains, fait un hold-up (authentique !) pour aller en distribuer ensuite les produits dans les HLM de banlieue.
Yvonne De Gaulle était ce qu’on n’appelle plus aujourd’hui une « punaise de sacristie », même si le modèle existe toujours, et, en 1966, profitant de l’autorité de son mari, a fait pression sur les ministres Alain Peyrefitte et Yvon Bourges et sur le directeur de la police Maurice Grimaud, pour faire interdire un film de Jacques Rivette, La religieuse, d’après un roman de Diderot, qu’elle jugeait « blasphématoire » (il ne l’était pas, on l’a vu ensuite). Le film, bien que défendu par André Malraux, ministre de la Culture et qui autorisa sa projection au Festival de Cannes, est resté sous le boisseau pendant plus d’un an, et a pu sortir, rebaptisé par précaution Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, avec une interdiction aux moins de 18 ans, permettant alors au public adulte de vérifier que cette interdiction était absurde ! Et, en 1975, le Conseil d’État, enfin sorti de son sommeil, a jugé cette interdiction illégale. Le mari de Tante Yvonne, lui, avait laissé faire cette illégalité...
Un dernier détail : après l’attentat du Petit-Clamart, où les époux De Gaulle étaient visés, Yvonne De Gaulle n’eut pas un mot pour les policiers qui escortaient le couple présidentiel, et ne s’inquiéta que... des poulets qu’elle transportait dans le coffre de sa voiture. Une femme au cœur grand comme ça !