Ne pas aimer Chaplin

Publié le par Yves-André Samère

Je vais commencer cette année 2018 par une sorte de suicide moral, puisque je vais donner les raisons qui font que je n’aime pas... Charles Chaplin. Avouez que c’est assez rare !

Je n’aime pas, chez Chaplin, l’homme, l’acteur, et ses films. Procédons par ordre.

Chaplin, je sais bien qu’il a eu une vie de chien dans sa jeunesse – mère devenue folle, misère, alcoolisme du père –, ce qui a sans doute provoqué chez lui cette vanité inextinguible et cette avidité pour l’argent. Vaniteux, car son autobiographie, que j’ai lue, ne vise qu’à énumérer les personnalités célèbres qu’il a rencontrées, ou plutôt qui ont eu l’honneur de le rencontrer, LUI. Et il n’a jamais supporté que quiconque lui fasse de l’ombre, au point que, ayant engagé pour son film Limelight un acteur comique plus talentueux que lui-même, Buster Keaton, il a, au cours du montage, supprimé toutes les scènes où ce génie incontestable le surpassait en talent. Il a aussi fait précéder son film A woman in Paris (en français, L’opinion publique), d’un carton où il prévenait les spectateurs que, pour éviter tout malentendu, il n’y jouait pas ! Restons simples... Quant à son avidité, elle s’est révélée à tout le monde lorsque, ayant quitté le métier et s’étant installé en Suisse, il a racheté toutes les copies de ses films qu’il avait pu trouver, et les a entreposées au coffre-fort, avec interdiction à tous les distributeurs de programmer quelque film que ce soit, sauf paiement d’une montagne de fric.

L’acteur est très surestimé. Il surjouait considérablement, grimaçait, multipliait les chutes et les coups de pied au derrière, qu’il recevait ou distribuait, et rejouait dix fois de suite le même gag. Jamais sympathique, son personnage de Charlot se distinguait par sa méchanceté, et seule son incontestable adresse physique, digne de celle d’un danseur, rehaussait la qualité de son jeu. Quant à l’auteur, il s’est montré extrêmement inégal, et je n’ai jamais vu un chef d’œuvre dans son film prétendu majeur, The great dictator (en français, Le dictateur), qui n’est qu’une farce assez lourdingue, bien plus qu’une dénonciation du nazisme. Par ailleurs, l’auteur a connu pas mal de bides, par exemple son Monsieur Verdoux, qui démarquait l’histoire de Landru. Il a aussi voulu être le compositeur des musiques de plusieurs de ses films, mais, incapable de créer des mélodies originales, il « s’inspirait », comme Gainsbourg, de musiques existant déjà. Par exemple, pour Modern times (en français, Les temps modernes, qui est passé avant-hier soir sur Arte), il a gardé la musique de Je cherche après Titine, en collant dessus un charabia incompréhensible.

Enfin, mais cela ne concerne que moi, ses films, dont le dernier est un navet avec Sophia Loren et Marlon Brando, ne m’ont jamais fait rire, car ils étaient plutôt poisseux de sentimentalité. En réalité, je n’ai ri qu’une fois, pour un film dont j’ai oublié le titre : incarnant un bourgeois alcoolique, il rentre un soir chez lui et y trouve une lettre de sa femme lui annonçant qu’elle le quitte. Il se penche alors sur un buffet, on le voit de dos, qui tremble comme s’il était secoué d’un chagrin incoercible. Mais, comme il se retourne peu à peu jusqu’à faire face à la caméra, on s’aperçoit alors que ce tremblement était l’indice qu’il secouait un shaker pour se préparer un cocktail : ce misogyne fêtait seulement le départ de son épouse !

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

A
Mais votre billet est une vraie bouffée d'oxygène pour moi. J'ai toujours eu des réserves sur la sacralisation de Charlie Chaplin. Tout à fait d'accord avec votre opinion. Pour ce qui est de la musique, n'étant pas spécialiste de la chose, c'est de vous que j'apprends l'existence de la supercherie.<br /> Toutefois, votre dernière petite phrase me désole. La légèreté et la facilité avec laquelle l'on peut, de nos jours, traiter un homme de misogyne, est incroyable. Une femme vous quitte, pour des raisons qui sont les siennes, et c'est vous qu'on traite de misogyne si vous ne piquez pas une crise ou ne tombez pas dans la dépression. Dire que ce personnage est misogyne c'est, primo, confondre sa femme à toutes les femmes du monde; deuxio, ne pas considérer sa femme comme une partenaire, indépendamment de son sexe. Des femmes fêtent leurs séparations, est-ce pour autant qu'on puisse les considérer comme misandres ?<br /> A part ce biais féministe, votre billet est parfait.<br /> Abdelhak
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Y
Sur la musique dans ce film de Chaplin, il suffisait de voir le film. Il est repassé récemment à la télévision.<br /> <br /> Le personnage que je qualifie de misogyne a, dans ce film, un comportement de misogyne, parce que, de toute évidence, il est très satisfait du départ de sa femme. Je n’ai pas assimilé le départ de cette femme à la conduite de TOUTES les femmes. Mais l’intention du personnage masculin est évident.
M
Je l'avais adoré dans " Chocolat ". Physiquement, il ressemble un peu à son grand-père.
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M
Vaniteux et vénal, je suis totalement d'accord. Il était également invivable en privé (je plains ses huit derniers enfants...). Néanmoins, il avait un talent incontestable. Qu'on le veuille ou non, il a marqué l'histoire du cinéma et c'est amplement mérité. On ne peut pas minimiser son travail, surtout pour le temps qu'il y passait.
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Y
De ses enfants, je retiens surtout... son petit-fils, James Thiérrée, le fils de sa fille Victoria. Lui est le seul génie de la famille, musicien, acrobate, metteur en scène, acteur. Malheureusement, la plupart des films où il a joué, sauf le dernier, « Chocolat », sont de pitoyables navets. Je l’ai vu sur scène deux fois, et j’ai l’enregistrement du deuxième de ses spectacles.