Ne pas aimer Chaplin
Je vais commencer cette année 2018 par une sorte de suicide moral, puisque je vais donner les raisons qui font que je n’aime pas... Charles Chaplin. Avouez que c’est assez rare !
Je n’aime pas, chez Chaplin, l’homme, l’acteur, et ses films. Procédons par ordre.
Chaplin, je sais bien qu’il a eu une vie de chien dans sa jeunesse – mère devenue folle, misère, alcoolisme du père –, ce qui a sans doute provoqué chez lui cette vanité inextinguible et cette avidité pour l’argent. Vaniteux, car son autobiographie, que j’ai lue, ne vise qu’à énumérer les personnalités célèbres qu’il a rencontrées, ou plutôt qui ont eu l’honneur de le rencontrer, LUI. Et il n’a jamais supporté que quiconque lui fasse de l’ombre, au point que, ayant engagé pour son film Limelight un acteur comique plus talentueux que lui-même, Buster Keaton, il a, au cours du montage, supprimé toutes les scènes où ce génie incontestable le surpassait en talent. Il a aussi fait précéder son film A woman in Paris (en français, L’opinion publique), d’un carton où il prévenait les spectateurs que, pour éviter tout malentendu, il n’y jouait pas ! Restons simples... Quant à son avidité, elle s’est révélée à tout le monde lorsque, ayant quitté le métier et s’étant installé en Suisse, il a racheté toutes les copies de ses films qu’il avait pu trouver, et les a entreposées au coffre-fort, avec interdiction à tous les distributeurs de programmer quelque film que ce soit, sauf paiement d’une montagne de fric.
L’acteur est très surestimé. Il surjouait considérablement, grimaçait, multipliait les chutes et les coups de pied au derrière, qu’il recevait ou distribuait, et rejouait dix fois de suite le même gag. Jamais sympathique, son personnage de Charlot se distinguait par sa méchanceté, et seule son incontestable adresse physique, digne de celle d’un danseur, rehaussait la qualité de son jeu. Quant à l’auteur, il s’est montré extrêmement inégal, et je n’ai jamais vu un chef d’œuvre dans son film prétendu majeur, The great dictator (en français, Le dictateur), qui n’est qu’une farce assez lourdingue, bien plus qu’une dénonciation du nazisme. Par ailleurs, l’auteur a connu pas mal de bides, par exemple son Monsieur Verdoux, qui démarquait l’histoire de Landru. Il a aussi voulu être le compositeur des musiques de plusieurs de ses films, mais, incapable de créer des mélodies originales, il « s’inspirait », comme Gainsbourg, de musiques existant déjà. Par exemple, pour Modern times (en français, Les temps modernes, qui est passé avant-hier soir sur Arte), il a gardé la musique de Je cherche après Titine, en collant dessus un charabia incompréhensible.
Enfin, mais cela ne concerne que moi, ses films, dont le dernier est un navet avec Sophia Loren et Marlon Brando, ne m’ont jamais fait rire, car ils étaient plutôt poisseux de sentimentalité. En réalité, je n’ai ri qu’une fois, pour un film dont j’ai oublié le titre : incarnant un bourgeois alcoolique, il rentre un soir chez lui et y trouve une lettre de sa femme lui annonçant qu’elle le quitte. Il se penche alors sur un buffet, on le voit de dos, qui tremble comme s’il était secoué d’un chagrin incoercible. Mais, comme il se retourne peu à peu jusqu’à faire face à la caméra, on s’aperçoit alors que ce tremblement était l’indice qu’il secouait un shaker pour se préparer un cocktail : ce misogyne fêtait seulement le départ de son épouse !