Ça déchire !
En ce moment, je vois de plus en plus, en ville, des malheureux qui n’ont sans doute pas les moyens de s’acheter des vêtements neufs. Tous, garçons et filles, sont jeunes – rarement plus d’une vingtaine d’années –, et tous portent des pantalons déchirés à la hauteur des genoux. Étrange... Pourquoi à cet endroit précisément ?
Mais on me souffle dans mon oreillette qu’il ne s’agit nullement de pauvres, trop fauchés pour acquérir des fringues décentes. Non, eux les achètent déjà déchirés à cet endroit ! Pourquoi ? Désir de s’aérer en cette saison qui, pourtant, n’est pas si chaude, puisque la canicule annuelle, qui ne dure jamais plus de deux semaines, est loin derrière nous ? Ayant interrogé des personnes compétentes, des garçons de café ou des vendeuses de grands magasins, j’ai obtenu la révélation suivante : ces accrocs très voyants sur les jambes de pantalon ne proviennent pas du tout d’une quelconque usure. Non, ces vêtements à l’aspect pitoyable ont été acquis dans cet état, parce que c’est la mode, et les accrocs ont été faits sciemment par les fabricants. Qui en ont profité pour augmenter les prix – eh oui, la main d’œuvre, ça se paye.
Ainsi, la mode vous impose de vous déguiser en économiquement faibles, et de singer les clochards, abondants toute l’année désormais dans les rues, les parcs, voire le métro ou les autobus. Bien, je le note, et promets de m’y mettre au plus vite, à la première remarque qui me sera lancée sur un ton sarcastique, puisque aucun de mes pantalons ne comporte le moindre accroc aux genoux, et que cette carence va finir par être remarquée.
Mais il reste une interrogation : pourquoi déchiqueter les vêtements à la hauteur des genoux ? Serais-je raillé si je décidais de pratiquer un ou plusieurs accrocs sur les manches longues d’une de mes chemises ? C’est que, jusqu’ici, je n’ai vu aucune chemise décorée d’une déchirure aux manches. Et si, enfin converti aux mœurs en vogue (qui ne sont pas nouvelles, on me certifie qu’elles existaient déjà il y a une cinquantaine d’années), je me décidais à lancer moi-même la mode ? Dans mon quartier, les Halles de Paris, cela prendrait à coup sûr.
Vous allez voir que je vais devenir célèbre.