Caméra en folie
Si vous lisez (parfois) mes élucubrations sur le cinéma, vous savez peut-être qu’au nombre considérable des détails que je déteste dans les films, il y a ce que j’appelle « la caméra portée », et que les critiques et les cinéastes préfèrent qualifier de « caméra à l’épaule ». Impossible de comprendre pourquoi les réalisateurs, et principalement les débutants, tiennent tant à faire bouger la caméra, même et surtout sans raison valable. J’ai caricaturé cette lubie un nombre incalculable de fois, et depuis longtemps, par exemple avec ma critique du navet de Xavier Dolan, Les amours imaginaires, ICI. Il m’est arrivé de quitter une salle de cinéma, parce que, dès le début du film, cela tournait au festival de la gesticulation.
Or je ne suis pas le seul à détester le procédé, et j’ai récemment découvert qu’un réalisateur extrêmement important avait raillé cette habitude stupide. Il s’agissait, excusez du peu, d’Alfred Hitchcock, que je tiens depuis toujours pour le meilleur réalisateur qui ait jamais existé. Il a sobrement exécuté les adeptes de cet amateurisme, lors d’une longue interview donnée à Peter Bogdanovich, qui l’avait rencontré pour la première fois en 1964, et dont je vous ai parlé il y a quelques jours, pour son livre d’interviews datant, pour la première, de 1962, mais publié en 1997. Et voici le passage qui m’a rempli de satisfaction : « La caméra à l’épaule va à l’encontre du principe même de cinéma : le cinéma, c’est le montage, ce sont des bouts de films, longs de trois photogrammes par exemple, que l’on juxtapose les uns aux autres ». Mais justement, les intoxiqués de cette manière de filmer veulent tout enregistrer et tout conserver de ce qu’ils ont mis en boîte, comme Dolan que je citais quelques lignes plus haut. Ils en arrivent ainsi à des films qui durent trois heures, ennuient tout le monde, et flanquent la nausée aux spectateurs, qu’ils secouent – comme la caméra – dans tous les sens. Je ne connais aucun grand maître du cinéma qui ait procédé ainsi.