Il y a prodige et « Prodiges »

Publié le par Yves-André Samère

Surprenante, cette avalanche de compliments qui a plu sur ce garçon de quinze ans, Mourad, qui vient, plusieurs fois par semaine, s’entraîner sur un piano, dans un couloir d’un hôpital marseillais. Il a eu droit à un article sur le site du « Figaro », qui le qualifie de « jeune prodige », reprenant les propos de ses admirateurs (André Manoukian, la sénatrice Samia Ghali) – sans oublier la mention qu’en a faite Leila Kaddour Boudadi sur France Inter dans La bande originale –, le tout agrémenté d’une vidéo, qui montrait son incapacité... à jouer convenablement, voire à jouer juste ! L’ennui est qu’il tentait d’interpréter la Fantaisie-Impromptu de Chopin, une œuvre assez difficile, par la rapidité qu’elle nécessite, et surtout, pour un détail technique qui ne vous dira rien si vous n’avez jamais vu la partition de ce morceau, ce pour quoi je vous explique sur cette page en quoi elle consiste. Quoi qu’il en soit, il est impossible, à un débutant qui n’est pas suivi par un très bon professeur, de jouer ce morceau. Ce qui est très loin d’être le cas ici : c’est simple, ce morceau ultra-connu, il le massacre. Je n’ai rien contre ce garçon, mais il faut voir la vérité en face.

Un piano dans un hôpital, j’en ai déjà vu un à Paris, à l’Hôtel-Dieu précisément, mais c’était une telle catastrophe qu’on ne pouvait rien en tirer, et que jamais je n’ai vu un pianiste même amateur se risquer à jouer sur cette casserole. Et puis, il y a celui du Forum des Halles, où l’on peut voir, Place Pina Bausch, à toute heure du jour, des amateurs un peu plus doués s’exercer quelques minutes. La musique, ici, ne s’arrête presque jamais.

Au fait, à propos de prodige, ne manquez pas, demain soir sur France 2, de regarder la première partie de l’émission Prodiges. Elle montre les éliminatoires de ce concours annuel, qui ne recrute que des artistes très jeunes mais confirmés, et du niveau professionnel, la seconde partie devant être diffusée une semaine après. Là, vous ne serez pas déçus.

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

D
Tout ce que je vois dans l'histoire de ce gamin de Marseille, c'est qu'il ne sera plus obligé d'aller dans un lieu public pour s'exercer. Il aura un piano à sa disposition chez lui, ce qui lui était refusé jusqu'à présent.<br /> Quant à Chopin, un ami (premier prix du Conservatoire National de Paris) qui le travaillait environ 3 heures par jour, m'a dit, un rien narquois "tu sais, on n'a pas assez de toute une vie pour comprendre et interpréter Chopin correctement". Il avait 50 ans à l'époque...
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Y
Le titre de “danseur étoile” n’existe qu’à l’Opéra de Paris – où, soit dit en passant, on est viré quand on atteint l’âge de 42 ans.<br /> <br /> Je n’ai pas écrit que les professeurs de musique doivent être honteux de leur travail. Mais aucun ou presque n’atteindra la célébrité. Et que penser d’un futur professeur de musique ne sachant pas déchiffrer une partition ? C’est pourtant un minimum quand on veut enseigner. Visiblement, le garçon dont nous parlons n’a jamais lu la partition du morceau qu’il jouait.
D
Peut-être parce qu'il sait déjà qu'il n'a pas les capacités pour faire une carrière de soliste ou même d'instrumentiste dans un orchestre, comme la plupart des danseurs savent qu'ils ne seront pas "étoiles", mais mijoteront dans un corps de ballet.<br /> Et il faut des professeurs de musique, comme il faut un orchestre ou un corps de ballet, et de futurs professeurs de danse. Il n'y a pas de honte à cela, loin de là. Ils ont peut-être plus de mérite qu'un soliste virtuose.
Y
Dans certains métiers, comme la danse, on dit que, dès qu’on devient mauvais, on ne se produit plus face au public, on devient professeur ! Ce n’est pas faux. Et puis, qui donc rêve d’être professeur, quand on a une vocation artistique ?
D
C'est bien pour cela qu'il y a des "prodiges" qui peuvent se le permettre, avec toute la logistique nécessaire, et les autres qui font ce qu'ils peuvent, avec des ambitions qu'ils pensent peut-être atteindre : être professeur de musique.
Y
Une école, c'est bien, mais ça ne vaut pas un professeur qui ne s’occupe que de vous. Jamais je n’ai fréquenté une école de musique. Cette idée ne me serait même pas venue.
D
Il prend des cours à l'école de musique des Pennes Mirabeau.
Y
Des bienfaiteurs ont fait à Mourad le cadeau d’un piano, parfait, je n’ai rien à objecter. Mais lui a-t-on payé les cours qu’il devra prendre obligatoirement ? Car on n’arrive à rien tout seul. Je le sais bien, pour m’être trouvé dans ce cas ! Je me dépatouillais avec des fascicules pour débutants, comme “La méthode rose” (sic), jusqu’au jour où je me suis décidé à prendre le meilleur professeur de la ville, une femme bien connue, et qui m’a dit de laisser tomber tous ces bricolages et m’a fait étudier la Première Polonaise de Chopin. Et, le croiriez-vous, en quelques semaines, je jouais cette œuvre assez correctement ! Trois mois plus tard, âgé de dix-neuf ans, j’ai dû jouer en public le “Clair de Lune” de Debussy. Je n’ai pourtant jamais été un prodige. Un très bon professeur est indispensable.