Confondre le personnage et son interprète
Le public qui se rend régulièrement au spectacle, théâtre, music-hall ou cinéma, fait tout aussi régulièrement l’erreur de confondre l’interprète avec le personnage qu’il joue à l’écran ou sur scène. Moi-même, bien qu’un peu mieux renseigné que la moyenne dans ce domaine, je commets parfois la même erreur. Conscient que ce billet n’a aucune importance réelle, je vous raconte néanmoins ma dernière erreur.
Avant-hier soir vendredi, j’étais invité à l’avant-première française d’un film qui ne sortira en France que le 6 février, My beautiful son, d’un cinéaste belge, Felix van Groeningen, dont je n’avais vu jusqu’ici qu’un infâme navet intitulé La merditude des choses, mais j’avais oublié ce détail. En réalité, je ne suis allé voir My beautiful son que pour la vedette du film, Timothée Chalamet, jeune acteur new-yorkais de vingt-quatre ans, dont le précédent film, Call me by your name, a remporté un triomphe mérité, principalement grâce à son interprétation. Or, très exceptionnellement, Timothée était présent à cette avant-première (il a d’ailleurs remporté un triomphe, dû à la sympathie qu’il inspire, à son imitation de son partenaire Steve Carell dans The office – la série de cinq « No-no-no » – et à ses talents de polyglotte, puisque, dans ce précédent film, il parle français, anglais et italien, et il joue aussi du piano sans être doublé). Je pense que son passage à Quotidien a dû être enregistré la veille, car il n’a sûrement pas le don d’ubiquité.
Je pensais donc que ce garçon possédait toutes les grâces, notamment ce don des langues, simplement pour l’avoir entendu en parler trois dans un film.
Eh bien... pas tout à fait, puisque son français entendu ce soir-là était souligné par un petit accent anglais, léger mais perceptible quoique imperceptible dans Call me by your name, et qu’il a commis pas mal de fautes de syntaxe, évidemment absentes du dialogue du film précité. J’aurais dû, idiot que je suis, me souvenir que, dans un dialogue de film qui est écrit, les fautes de syntaxe sont évidemment gommées ! J’ai donc confondu Timothée avec Elio. Battons notre coulpe, et promettons d’être moins naïf à la prochaine occasion. Quoique...
Ce manque de jugeote arrive à tout le monde, et il fonctionne dans les deux sens, puisqu’on attribue volontiers des défauts à des célébrités qui pourtant sont irréprochables. Ainsi, tout le monde croit qu’Alain Delon est un sale type, aussi égocentrique que prétentieux, et qui ne parle de lui-même qu’à la troisième personne, sans doute parce que les Guignols du défunt Canal Plus ont ressassé cette légende durant des années. Or, dans le privé, Delon, c’est tout le contraire : il est extrêmement généreux, se dévoue sans compter pour ses amis, et il est, croyez-le ou non, tout à fait modeste et sachant se moquer de lui-même (voyez ICI). Dans le compte-rendu de ce film dont il était l’un des vedettes, Le guépard, j’ai rapporté ainsi comment il s’effaçait pour faire l’éloge de Luchino Visconti, son réalisateur : « Si [Claudia Cardinale] n’a pas grand-chose à dire (proférant même une contre-vérité sur la durée du tournage, de trois mois prétend-elle, alors qu’il en a duré six), et le dit dans un langage approximatif, Delon surprend par son humilité très inhabituelle et par la qualité et la quantité d’informations inédites qu’il nous livre ». Il lui a aussi, dans un documentaire sur ses débuts, rendu un vibrant hommage.
Par pure charité chrétienne, je m’abstiens ici de rapporter ce que je sais de très défavorable concernant d’autres vedettes, que le public naïf prend pour des saint(e)s.