Un « philosophe » ignare
Vous connaissez sans doute cette image (devenue introuvable) censée illustrer l’évolution du singe vers l’homme. Qu’en pensez-vous ?
Eh bien, si vous avez un brin de culture scientifique, vous savez qu’elle constitue un énorme mensonge, car l’espèce humaine ne « descend » pas de l’espèce simiesque. La science (dont mon cher Giganto, alias Aurélien Enthoven, qui n’aura ses dix-huit ans que le 20 juin prochain) a démenti cette bourde depuis des décennies, l’homme et le singe ont seulement eu un ancêtre commun, qui n’était donc ni homme ni singe. Mais cette illustration qui traîne partout et que des millions d’ignares prennent au sérieux n’a fait que renforcer cette croyance absurde, qui court toujours.
À ce propos, j’ai vu aujourd’hui un film dont tout le monde ou presque a fait l’éloge (pas moi, veuillez m’excusez), Le cercle des petits philosophes, car on y voit un philosophe professionnel, Frédéric Lenoir, qui va d’école en école pour enseigner aux enfants des classes primaires qu’on peut philosopher dès l’âge le plus tendre. En fait, ce film est une publicité déguisée pour les livres qu’il a publiés dans une vingtaine de langues et vendus à plus de six millions d’exemplaires, selon le battage qu’on a fait autour de lui, notamment à la télévision française, qui a diffusé l’année dernière une première version plus courte de ce film.
La cinéaste qui a signé cette œuvrette est, dit-on, une documentariste de qualité, Cécile Denjean, française, dont j’ignorais le palmarès exclusivement télévisuel, et qui est tombée dans la chausse-trappe de beaucoup de cinéastes : interrompre son film une demi-douzaine de fois pour passer des chansons (en anglais, naturellement), sur des images qui ne disent rien, chaque fois prises par un drone pour faire joli. Classique. Or le philosophe dont je parlais plus haut et qui fait parler librement les enfants et les laisse énoncer des platitudes, a aussi laissé prononcer la phrase illustrée par l’image que je citais au début : « L’Homme descend du singe ». Ainsi donc, en France, on tolère sans réagir qu’un « philosophe » ancre des bêtises dans la tête des gosses, sans songer à couper au montage la phrase litigieuse, et sans que l’instituteur titulaire de la classe où il sévit ait daigné intervenir pour le prier de fermer son clapet. Résultat : la plupart des spectateurs de ce film auront gobé cette imbécillité sans songer à casser leur fauteuil.
Je ne crois pas que dans les pays nordiques, où l’enseignement est pris au sérieux, on aurait laissé passer une ineptie de ce calibre.