Pouce levé, pouce baissé ? Que de bobards !
On peut être un philosophe très connu, avoir SON émission quotidienne à la radio, et dire des bêtises au micro de la radio nationale. Je viens de réécouter en différé une émission passée, présentée par Nagui, dans laquelle cette vedette (ici, je ne parle pas de Nagui, mais de son invité du jour, Raphaël Enthoven) émet une grosse bêtise.
Dans son intention de traiter des sujets les moins intéressants qui soient, en l’occurrence les sites comme Facebook ou Twitter, où les visiteurs peuvent manifester qu’ils aiment leur accord ou leur désaccord avec les opinions de leurs contemporains, Enthoven a comparé les fameux pouces bleus servant aux visiteurs à exprimer qu’ils approuvent ou désapprouvent les opinions exprimées, au geste par lequel l’empereur romain exprimait, croit-on, leur décision de gracier ou de condamner à mort le gladiateur qui vient de se donner en spectacle dans l’arêne et a été vaincu. Ce geste, tout le monde le connaît et l’a vu au cinéma ou en bandes dessinées.
Tilt ! Les spécialistes du monde romain démentent que cette coutume ait existé : elle est née au cinéma, probablement, et a été inventée par des scénaristes désireux de corser un peu le spectacle. En tout cas, les historiens n’en ont trouvé aucune trace dans les œuvres de l’époque, aussi bien en peinture que chez les écrivains.
Sans chercher aussi loin, il suffisait de réfléchir : mettre à mort un gladiateur parce qu’il n’a pas combattu assez énergiquement pour vaincre un adversaire ? Mais c’est idiot ! Les gladiateurs étaient des champions de ce « sport », leur formation était longue, et elle coûtait très cher à leurs propriétaires. Dès lors, comment croire que le propriétaire d’un gladiateur battu dans l’arêne décide de mettre à mort un champion qui lui a coûté une fortune ? Est-ce qu’à l’issue d’une compétition hippique, le propriétaire d’un cheval qui n’est pas arrivé le premier envoie son canasson à la boucherie ? On n’a jamais vu ça !
Par conséquent, l’histoire du pouce levé ou baissé pour signifier la grâce ou l’exécution est un bobard très ancien, mais que rien ne vérifie. Et Enthoven, qui sait tout (comme Onfray), a plongé tête baissée dans le piège qu’il s’est tendu à lui-même. Les philosophes se trompent plus souvent qu’on le croit.