Chantage d’État

Publié le par Yves-André Samère

Je m’en vais vous narrer une petite histoire vraie, qui me concerne, mais pas seulement moi. Si elle vous rase, cessez de la lire et allez voir un autre de mes articles, comme j’en ai rédigé 8188, vous avez davantage de choix que lors d’une élection présidentielle en France.

À l’âge scolaire, du Cours Préparatoire à la classe de Troisième, donc pour moi les neuf années entre cinq ans et demi et quatorze ans, j’ai toujours fréquenté la seule école de la petite ville où vivait ma famille. Mais, lorsqu’en fin de Troisième, j’ai passé le Brevet concluant le premier cycle, j’avais épuisé toutes les possibilités de ce bled : aucun lycée, pas le moindre collège. J’étais contraint d’aller au chef-lieu du département pour continuer à m’enjoliver l’intellect, comme disait Montherlant ; et, bien sûr, en internat. Or tous les lycées de la ville, au nombre considérable de DEUX, n’avaient qu’un internat payant. Ma famille ne pouvait pas payer, car nous étions fauchés comme un champ de maïs après le passage de José Bové.

Restait tout de même une modeste école, quatre classes de vingt élèves, où tout était gratuit, car c’était une école d’État : les études, l’hébergement en internat, la nourriture, et même la perspective d’une bourse... après trois ans de présence. Il fallait simplement réussir au concours d’entrée.

Passons, j’y ai réussi et j’ai été admis dans la classe de seconde. Ouf !

Oui, mais voilà, à peine reçu, je me suis vu présenter la douloureuse : on m’a mis en main la condition sine qua non, consistant à m’engager, par un contrat de dix ans, à travailler au service de l’État. En cas de démission de ma part avant l’échéance, j’étais contraint – donc on contraignait ma famille – à rembourser toutes les dépenses que le si cher État avait engagé pour me former à son service.

Que vouliez-vous faire ? Me rebeller, ruer dans les brancards, hurler à la fumisterie, et risquer de me retrouver à la rue, à quatorze ans ? J’ai signé. Tous mes camarades aussi, bien que plus âgés d’au moins deux ans. En compensation, on m’a inscrit d’office au syndicat (j’ai toujours ma carte de ce temps-là).

On appelle ça une république. Il paraît qu’on appelle aussi ce procédé « un chantage ». Oh le vilain mot !

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

D
La même chose existait aussi pour les écoles d'infirmières, mais seulement avec un contrat de 5 ans dans des établissements publics. Cela a permis, par exemple, à une femme de ma connaissance de faire ces études, venant d'une famille d'agriculteurs de 10 enfants. Inutile de dire que ses parents n'avaient pas de quoi lui payer ses études, son hébergement, etc. C'est un chantage, d'accord, mais au moins un accès était ouvert à ceux qui voulaient continuer leurs études, ou accéder à une profession qui les tentait. Maintenant ? Espérons que les bourses sont plus généreuses (hum).
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Y
C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. Cet écart en âge a duré deux ans, pendant lesquels on m’a constamment traité de « bébé ». Dur-dur, d’être un bébé !
D
Je reconnais volontiers qu'à 14 ans c'est immoral. Mais quelle idée aussi d'avoir deux ans d'avance sur les autres postulants... vous étiez pris dans un piège qui n'aurait jamais dû avoir lieu : continuer des études, ou pas. <br /> Pour l'infirmière, c'était plutôt vers ses 18 ans, je pense, ce qui n'a rien à voir avec votre cas.
Y
Un contrat obligatoire de dix ans quand on en a quatorze, et aucune possibilité de reculer ! Ce ne serait pas proche du détournement de mineur ? Je n’avais même pas choisi cette école, puisque c’était la seule qui existait.