Patrick Brion
Le scandale du jour, de la semaine, du mois, de l’année, ce n’est pas d’avoir envoyé Patrick Balkany au trou : on se fiche que ce camelot se retrouve là où il aurait dû être depuis des dizaines d’années. Le scandale du jour concerne un autre Patrick : c’est Patrick Brion !
Lui n’a rien à se reprocher, sinon de faire un travail que sa hiararchie estime « pas rentable ». Que, depuis 1976, il a pu convertir à l’amour du cinéma des milliers de téléspectateurs qui ne savaient même pas que le cinéma existe, ça compte donc pour zéro ! Mais elle-même, Delphine Ernotte, qui préside France Télévisions, est-elle « rentable », alors qu’elle perçoit un salaire de 400 000 euros par an, et qu’elle a dû recevoir une motion de défiance de la part de 84 % des personnels de France Télévisions, poste où elle n’a été nommée que par piston ? Lisez, chaque semaine, ce que dit sur elle Christophe Nobili dans « Le Canard enchaîné » en page 7.
Patrick Brion, spécialiste reconnu du cinéma et auteur de plusieurs livres sur le sujet, travaillait d’arrache-pied pour trouver chaque semaine un film qu’on ne voyait nulle part, ni en salles, ni à la télévision. C’est lui qui organisait la fameuse émission que présentait autrefois Eddy Mitchell, La dernière séance, sur France 3 alors appelée FR3. En outre, il était d’une honnêteté exemplaire, ce que j’ai pu vérifier lorsque, mécontent de ce qu’il avait diffusé Les dix commandements (de Cecil B. DeMille) dans un format élargi, je lui avais envoyé une lettre d’engueulade, argüant, parce que je n’avais jamais vu ce film en salles que dans des versions en 4/3, qu’il avait cédé à la mode du 16/9 en coupant le haut et le bas de l’image, comme on fait très souvent depuis que les téléviseurs n’affichent plus que ce format. J’avais tort, j’ignorais alors que le film avait été tourné en Vistavision, commercialisé par la seule Paramount, et pour lequel on faisait défiler la pellicule horizontalement afin d’obtenir une surface plus large et donc de meilleure définition. Le croiriez-vous ? Il m’avait téléphoné, s’était bien gardé de me détromper alors qu’il avait raison, et nous avions parlé de cinéma durant une heure entière. En conclusion, il m’avait donné son numéro de téléphone, m’invitant à l’appeler si, un jour, je passais à Paris. Malheureusement, très occupé, il n’était jamais à son bureau les deux fois où j’avais cru pouvoir lui parler à nouveau.
Patrick Brion va manquer à des milliers de passionnés du cinéma, dont je suis. Il m’a fait découvrir des perles rares, et je continue à enregistrer la plupart des films que, jusqu’à hier soir, j’ajoutais dans ma collection de chefs-d’œuvre du septième art. Fin décembre, ce sera fini.
L’horrible Ernotte, en extase devant cette fausse gloire qu’est la rentablité, n’a fait que renouveler l’exploit d’Elkabbach qui, lorsqu’il avait été nommé président des chaînes de service public, avait eu ce geste inoubliable : supprimer le cinéma du vendredi soir que présentait Claude-Jean Philippe. À quoi rime cette obsession de la rentabilité ? Est-ce que la Comédie-Française, les deux opéras de Paris, les hôpitaux, Radio France, le Louvre... et l’école sont rentables ?