Les chiffres ne sont pas des nombres

Publié le par Yves-André Samère

Je ne sais par quelle aberration, mais la majorité des bipèdes peuplant ce cher et vieux pays, comme disait De Gaulle (je le cite rarement, convenez), sont infoutus de s’enfoncer dans le crâne que les mots nombre et chiffre ne désignent nullement le même objet. Et c’est ainsi qu’on entend quotidiennement, dans les radios françaises, parler du « chiffre du chômage », ce qui n’a aucun sens. Il y a aussi cette absurdité, le chômage « à deux chiffres », expression ridicule pour qualifier les nombres au-delà de 10 (comme si le nombre 9,99, avec ses trois chiffres, n’était pas inférieur à 10 !).

Mais délabyrinthons.

Les nombres servent à dénombrer, c’est-à-dire à COMPTER. Compter n’importe quoi, peu importe : des carottes, des minutes, des sottises proférées dans les radios, des fautes de français dans les discours politiques, et des erreurs de syntaxe – les plus nombreuses. L’expression un million est un nombre, et vous en dénicherez des dizaines, pour peu que vous tendiez l’oreille. Il en existe une infinité, et il n’existe pas de « plus grand nombre », car la suite des nombres n’a évidemment pas de fin.

Les chiffres, eux, ne sont PAS des nombres. Il n’en existe pas une infinité, mais, dans notre système de numération décimale, seulement dix, surnommés chiffres arabes, parce qu’ils ont été inventés, non pas par les Arabes, mais par les Indiens (pas les Peaux-rouges, mais les Indiens de l’Inde, qui avaient inventés ce codage) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0, et rien d’autre. Si on change de système de numération, on en trouvera, soit moins, soit davantage. Par exemple, en informatique, on utilise deux catégories de chiffres, les binaires, qui ne sont que deux (1 et 0), et les hexadécimaux, qui sont seize (les dix chiffres arabes, auxquels on a dû ajouter six éléments remplacés par les lettres A à F). Les Romains, eux, en avaient beaucoup moins, I pour 1, X pour 10, L pour 50, C pour 100, D pour 500, et M pour 1000. Les multiples de 1000 utilisaient le même M, mais souligné. On comprend très vite que ce système est inutilisable pour faire des opérations, même simples, et j’ignore où en serait notre civilisation mercantile si un mathématicien italien nommé Leonardo Fibonacci n’avait pas découvert le système utilisé par les Arabes lors d’un de ses voyages en Algérie, à Bougie très précisément. Nous lui devons énormément ! Je vous épargne le système maya, encore plus compliqué.

Récemment, je crois avoir conseillé aux professeurs de mathématiques de poser à leurs élèves une colle très simple : écrire au tableau un très grand chiffre 1 et un très petit chiffre 9, et demander aux potaches quel était « le plus GRAND chiffre » qu’ils voyaient. La plupart des potaches répondraient que c’était le 9, parce qu’ils auraient confondu inévitablement chiffre et nombre, et que le plus grand chiffre, dans le cas présent, était bien sûr le 1 ! Mais quel adulte ne serait pas tombé dans le piège ?

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

D
Cette confusion pénible mais désormais généralisée qui consiste à utiliser le mot chiffre à la place du mot nombre ou du mot valeur ou du mot numéro n'est pas récente, cf. Jean-Marie Cavada dans une "Marche du siècle" de 1980 dont on nous a passé un extrait récemment, cf. également la dédaigneuse Agnès Verdier-Molinié et sa peu reluisante IFRAP toujours prête à dézinguer les fonctionnaires dans "le chiffre qui fâche" , sans oublier les "chiffres du Loto" dont on nous rebat les oreilles.<br /> Possible aussi que cette dérive vienne de l'utilisation de l'expression "chiffre d'affaires".<br /> Bien à vous,<br /> Don Liau
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Y
Je ne sais si cette confusion des termes vient du "chiffre d'affaires". Pour ma part, je l’attribue plutôt à cette épidémie de négligence quant à la langue que nous croyons parler. Partout, nous sommes envahis par le vocabulaire que nous imposent la rue et ceux qui la peuplent. En bref, ce qu’on qualifiait naguère de "petit nègre" s’est mué en raz de marée qui a tout balayé. Or nul ne fait quoi que ce soit afin de redresser la barre.
C
Et pourquoi le "Chiffre "c dans les services secrets ?
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Y
Ce n’est que du jargon à usage très localisé, d’ailleurs très peu connu.
C
" Hé bien mon chercr et vieux pats , nous voici de nouveau face à face! " Formule gaullienne reprise délicieusement par ce cher Jean Yanne dans une émission sur France Inter .
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Y
Je ne sais pas si Jean Yanne a repris cette formule, mais je suis sûr qu’Henri Tisot l’a utilisée au début de son sketch sur "La dépigeonnisation" (j’ai l’enregistrement, et on le trouve sur YouTube). Tisot, qui venait de la Comédie-Française, avait découvert son don pour la parodie, et obtenu un succès franc et massif, comme disait MonGénéral.