Acquitté, Villain passe à la caisse
Dans une chanson de son dernier disque, sorti en 1977, Jacques Brel se demandait « Pourquoi ont-il tué Jaurès ? ». Il eut mieux valu se demander « Pourquoi ont-ils acquitté son assassin ? ». Et si vite, après un délibéré de seulement... deux heures !
Certes, Villain était un déséquilibré, qui d’ailleurs ne s’est pas caché, a commis son crime devant témoins, et n’a pas tenté de se soustraire à la justice. Mais tout de même ! Ce procès a été une avant-première de celui qui, plus tard, et au rebours de ce qu’on avait vu en 1914, condamna un innocent probable, Christian Ranucci, pour le meurtre nullement prouvé d’une petite fille. Il avait vingt-deux ans, et fut guillotiné à Marseille, dans une région où l’extrême droite a toujours fait florès et contaminait jusqu’au président de la Cour d’Assises, qui avait avalé de travers le fait que Ranucci avait OSÉ se défendre en sa présence !
Raoul Villain a provisoirement échappé à la Justice, puisque l’euphorie stupide qui déferla ensuite dès le 24 mars 1919, le dernier obstacle à la guerre ayant disparu, la foule crétine fêta l’évènement du premier tué de la Première Guerre mondiale. Certes, le procès a-t-il été reporté pour éviter de « diviser les Français » (sic), et les deux avocats de Villain ne demanderont pas la mort du coupable, par égard pour la mémoire de Jaurès, qui avait été un adversaire de la peine de mort. Mais, s’ils réclament une peine sévère, le président du tribunal se montre très indulgent, et admet que l’assassin a agi dans un moment de colère patriotique. Le patriotisme avait bon dos.
Plus grave, les amis de Jaurès qui viennent témoigner s’avèrent très maladroits, et font de ce crime une affaire politique, en présence d’un jury à majorité bourgeoise. Pour ne rien arranger, l’avocat général, loin de réclamer un châtiment exemplaire, se montre très modéré, et le public applaudit !
Qui dit mieux ? Villain est acquitté, et le tribunal ordonne que les frais du procès seront payés par... la veuve de Jaurès ! Incroyable, mais vrai.
Villain, le grand vainqueur de ce cirque, quitte la France et va s’installer aux Baléares, à Ibiza, dans la maison de ses rêves. Mais, le 13 septembre 1936, les Républicains espagnols lui ont fait la peau : deux balles, une dans la gorge et l’autre dans la poitrine. Il était temps !