Le goût du pétrole
Je suis probablement le seul adulte ayant, dans sa petite enfance, bu... du pétrole ! Non, ce n’était ni une idiotie de ma part – j’aurais su trouver mieux pour meubler mes très nombreux loisirs –, ni une punition inventée par les adultes qui m’entouraient (de loin). Bien au contraire, il s’agissait d’un remède, prescrit par le docteur que ma mère avait fait venir, parce que j’étais alors malade. Une simple coqueluche, qui ne devait pas être bien grave, puisque je guéris assez vite. Je devais alors avoir deux ou trois ans, et je suis bien le seul ayant conservé de pareils souvenirs. Je puis au moins témoigner que le pétrole a un sale goût, et que je n’ai pas été contraint d’en absorber une autre lampée. Et comme je vivais alors seul avec ma mère, il ne reste absolument personne pour en témoigner.
Drôle de remède, vous écriez-vous. Mais non, nous vivions alors au Sahara, à Touggourt très précisément, et Touggourt en ce temps-là était une petite ville sans trop de ressources (elle a beaucoup changé depuis, le pétrole ayant ensuite été découvert dans le sous-sol de cette région désertique, ce qui fit sa fortune à la surprise générale). Bref, de nos jours, on n’y soigne plus la coqueluche avec ce remède de bonne femme, comme on ne dit plus, et le pétrole ne sert plus qu’à enrichir les industriels ayant choisi de dominer à bon compte les sociétés modernes. Ce qui tombe bien, puisque nous avons désormais à la tête du pays un président des riches (« des très riches », avait précisé à la télévision son prédécesseur) et ancien banquier, capable de louer le château de Chambord pour y fêter son quarantième anniversaire.
Pour ma part, je demeure un adulte relativement bien portant, à quelques exceptions près. Je vois toujours quelques médecins, mais la plupart d’entre eux sont compétents, et ne pratiquent plus la sorcellerie d’antan.