Voleurs de patates
Pourquoi les animateurs de télévision sont-ils devenus si riches, si envahissants, si difficiles à virer ? Parce qu’à l’époque où les chaînes commerciales ont été autorisées, sous Mitterrand, elles ont eu à faire un choix : continuer à produire du spectacle, ou bien, importance de la publicité aidant, se concentrer sur l’aspect purement financier du métier.
Le choix a été vite fait, et les chaînes ont largement délaissé la fabrication des programmes, se contentant désormais d’acheter à l’extérieur des émissions toutes faites. Ce fut l’époque des fameux « voleurs de patates », autrement dit, des animateurs reconvertis en producteurs d’émissions. Le nouveau système était simple : la chaîne achète un certain nombre d’émissions à un animateur-producteur, pour un prix fixé à l’avance par contrat ; ce dernier fait fabriquer les émissions commandées par une équipe qu’il a engagée, il économise ce qu’il peut et garde le surplus pour lui ! Aucun contrôle de la part de la chaîne. Et, bien entendu, l’animateur-producteur devient inamovible. À ma connaissance, seul Jean-Pierre Foucault est resté employé, la plupart des autres se sont mis à leur compte.
Devenus riches et puissants, les animateurs-producteurs se sont un jour constitués en syndicat, et ont fait pression sur les chaînes, afin de les obliger à réduire le nombre des émissions qu’elles produisaient encore « en interne ». Le chantage était simple lui aussi : vous augmentez le quota d’émissions que vous nous commandez, sinon on ne vous livre plus rien !
Ainsi, Canal Plus a été l’objet de ce chantage, et s’est trouvée contrainte de supprimer la production, chez elle, d’une partie de ses propres émissions pour en faire bénéficier une société de l’extérieur. Que supprimer ? Les Guignols ? Pas question, c’était l’émission-phare de la chaîne. Groland ? Les vingt minutes hebdomadaires des mal élevés de la Présipauté ne coûtaient pas assez cher. Restait Le Vrai Journal, l’émission la plus chère à produire. Donc Le Vrai Journal devait être produit ailleurs.
À cette époque, l’émission n’était que présentée par Karl Zéro, le réalisateur en était Michel Malausséna, et tous deux étaient des employés de Canal Plus – les reportages étaient fabriqués par l’agence Capa. Flairant la bonne affaire, Karl et Malausséna ont créé en catastrophe une société de production, La Société du Spectacle (allusion à un livre célèbre de Guy Debord), l’ont installée dans un immeuble de quatre étages du dix-septième arrondissement (copain des deux chauffeurs de salle Nicolas et Lydie, j’ai été l’un des rares téléspectateurs de base – peut-être le seul – invités à visiter la boîte), et ont coupé l’herbe sous le pied des producteurs ayant déjà pignon sur rue : désormais, au lieu d’être des employés de Canal Plus, ils sont devenus fournisseurs !
Ce joli coup leur a permis de revendre leur société, quelques années après, à Endémol. Avec un énorme bénéfice, qui a permis à Malausséna de ne plus jamais devoir travailler ! Depuis, il écrit des livres dans lesquels il flingue ses anciens patrons.