Le Tartuffe enchaîné
« Le Canard enchaîné », qui se veut la conscience de la presse de gauche, se vante volontiers de ne jamais attaquer ses cibles sur leur vie privée. C’est en général respecté par ses rédacteurs, mais il y a eu des exceptions en forme de bavures. Stupeur ! Il s’agissait presque toujours d’homosexualité.
Ainsi, en 1971, sous Pompidou, éclate un scandale immobilier, celui de la Garantie Foncière. Un député gaulliste, André Rives de Lavaysse, dit Rives-Henrys, est mêlé à l’affaire. « Le Canard », qui a beaucoup publié sur ledit scandale, écrit de ce député, dans une notule en page 2, qu’il « n’aime pas les dames », et ajoute hypocritement « mais peu importe, cela ne nous regarde pas ».
À la même époque, la chronique de télé est tenue par une plume acérée, Pierre Chatelain-Tailhade, qui vit à Bruxelles et tient trois rubriques sous trois pseudos différents : ses chroniques judiciaires sont signées Jérôme Gauthier, son billet féministe est signé Valentine de Coin-Coin, et la télé est vue par Clément Ledoux. Or, décrivant une émission au cours de laquelle on avait vu Marie Laforêt assise sur les genoux de Jean-Claude Brialy, ce Clément qui ne l’était guère avait mentionné que « la chérie ne risquait pas grand-chose ». À l’époque, Brialy avait encore ses parents et cachait au public son homosexualité.
Parlant de José Artur, producteur sur France Inter et à la télévision, le même Clément Ledoux, avait écrit « ce garçon, soit dit sans vouloir le désobliger ». José Artur avait dit plus tard sur France Inter que le chroniqueur était « une ordure », en présence de Roland Bacri, autre rédacteur du « Canard », qui n’avait pas protesté.
Enfin, le successeur de Valentine de Coin-Coin pour le billet féministe fut Dominique Durand, dont l’exploit suivant étonne de sa part, mais ne peut pas être nié : utilisant le vieux procédé de la presse de caniveau qui consiste à prêter à d’autres les propos que l’on tient, il avait prétendu rapporter « une histoire qui se raconte en ce moment à Monaco ». Cette histoire est d’ailleurs une variante d’un propos que la princesse Margaret, sœur d’Elisabeth II, avait tenu sur son propre mari : un quidam téléphone au palais princier de Monaco et demande à parler à la princesse. La standardiste répond : « Quelle princesse ? La pute, celle qui a tué sa mère, ou Albert ? ». L’histoire n’a guère enchanté les héritiers de Rainier III, qui ont porté plainte, et « Le Canard enchaîné » a été condamné : cent mille francs de dommages-intérêts à chacun !