Sachez punir un régicide
Le plus horrible supplice conduisant un homme à la mort a été inventé par les catholiques français. Surprenant, non, quand on connaît l’humanité et le respect de la vie qui les anime ? Je fais allusion au traitement qu’ils infligeaient aux régicides, même lorsque le coupable avait raté son coup.
Il n’y a pas eu beaucoup de régicides en France, par chance. Henri III et Henri IV ont été assassinés (leur prénom portait malheur ?), et Louis XV a subi un attentat simulé, qui a valu ce que je vais vous décrire à son auteur, Robert François Damiens, ancien soldat devenu domestique, né en 1715, qui frappa le roi d’un coup de canif en 1757. Il n’avait pas du tout l’intention de le tuer, mais seulement de « le rappeler à ses devoirs ». Le souverain, ex-Bien Aimé, en fut quitte pour une bonne trouille, mais il est sans exemple qu’un chef d’État français qui échappe à un attentat fasse grâce à celui qui a voulu lui faire la peau, si bien que les trois régicides successifs, le moine Jacques Clément, puis Ravaillac, puis Damiens, furent condamnés à l’écartèlement. Sans parler de Charles De Gaulle, qui n’a pas non plus gracié Bastien-Thiry, lequel, ayant raté son coup, n’avait donc tué personne.
Damiens avait auparavant tenté de se suicider, en vain, et on commença par le torturer, en lui appliquant la « question ordinaire », suivie de la « question extraordinaire », appliquées par deux bourreaux, dont le futur célèbre Charles Henri Sanson, qui débutait, et quinze aides. But : lui faire avouer les noms de ses complices. Il n’en avait pas. Mais il subit le supplice de l’eau (lui remplir d’eau l’estomac, via un entonnoir enfoncé dans la gorge), puis celui des brodequins, qui lui écrasèrent les chevilles, et on lui brûla les membres et la poitrine avec des fers rougis au feu. Puis il fut conduit en Place de Grève (la Place de l’Hôtel de Ville aujourd’hui). Là, on fit brûler au-dessus d’un brasero la main qui avait tenu le canif, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un moignon. Ensuite, avec des tenailles, on lui arracha des morceaux de chair, et on versa sur les plaies du plomb fondu, de la poix enflammée et du soufre en fusion. Après cela, il fut placé sur deux madriers cloués en croix de Saint-André, le buste enserré entre deux planches fixées à la croix, pour l’immobiliser pendant l’écartèlement. Chacun de ses membres fut attaché à un cheval, et les chevaux furent fouettés pour partir dans quatre directions différentes. Les membres s’allongèrent démesurément, mais ne se détachèrent pas, et, au bout d’une demi-heure, on changea la direction des deux chevaux attachés aux jambes, pour qu’ils tirent dans la même direction. Les os des fémurs se déboîtèrent, mais toujours sans se rompre. Au bout d’une heure, les chevaux étaient si fatigués que l’un d’eux s’abattit, et on eut du mal à le relever. Fouettés, les chevaux recommencèrent, toujours vainement. On envoya donc le chirurgien à l’Hôtel de Ville, dire aux juges que les gros nerfs devaient être tranchés, sinon le déboîtement serait impossible. Les juges acceptèrent, et les nerfs furent coupés à la hache. On relança les chevaux, qui arrachèrent cette fois deux bras et une jambe. Damiens vivait encore, et c’est dans cet état qu’il fut jeté dans un bûcher, où sa vie s’acheva enfin.
Louis XV n’avait pas exigé ces atrocités, mais comme c’était Dieu qui décidait...