« Le Canard enchaîné » et la vie privée
J’ai fait allusion hier au « Canard enchaîné » ainsi qu’à l’acteur Alain Delon, laissant entendre que ce journal n’avait pas été très net en certaine circonstance. Il s’agissait de l’assassinat de Stevan Markovich, un truand qui était aussi le garde du corps de Delon. On trouva son cadavre, le 1er octobre 1968, dans une décharge publique, enveloppé dans une housse de matelas. Passons sur les à-côtés politiques de l’affaire, puisque des gaullistes purs et durs comme Louis Vallon, qui détestaient Pompidou, tentèrent de l’impliquer (et surtout sa femme, grâce à des photos truquées complètement ridicules – je les ai vues). C’est qu’à l’époque, les Pompidou fréquentaient beaucoup les Delon, et le prétexte avait suffi aux groupies du grand Charles pour tenter de torpiller la future et très prévisible candidature de Pompidou, éjecté trois mois plus tôt de son poste de Premier ministre, à la présidence de la République (il fut effectivement élu en mai 1969).
Bref, un juge d’instruction convoqua Delon, car des lettres privées semblaient l’impliquer dans cette affaire d’assassinat, de même que sa femme Nathalie ainsi que le truand (et membre du SAC fondé par Pasqua) François Marcantoni. Et « Le Canard enchaîné » cita des extraits du texte de son audition face au juge. Sans aucune nécessité, étaient inclus les passages où l’acteur admettait avoir eu des relations sexuelles avec son garde du corps, en compagnie de sa femme Nathalie. Les ébats de ce trio n’avaient bien sûr aucun rapport avec le meurtre – jamais élucidé –, mais « Le Canard », qui se vantait déjà sans cesse de ne jamais rien publier sur la vie privée des gens, n’avait pas craint, dans cette occasion, de faire pire que la presse de caniveau qu’il dénonce vertueusement.
Delon eut la velléité de porter plainte, et il aurait eu raison, mais son avocat l’en dissuada. Dommage, on aurait pu rire un peu... et voir condamner « Le Canard enchaîné » pour violation du secret de l’instruction et atteinte à la vie privée.