Quand Giscard violait la présomption d’innocence

Publié le par Yves-André Samère

Puisqu’il a été question de la présomption d’innocence dans la notule précédente, rappelons que ce principe consistant à ne pas imputer un délit à une personne qui n’a pas encore été jugée (ou qui a été jugée, condamnée, mais qui a fait appel) est appliqué en France de manière, disons, pittoresque.

Ne revenons pas sur Julien Coupat, en taule depuis le 15 novembre 2008 parce qu’Alliot-Marie, ministre de quelque chose, le soupçonne de « direction d’une structure à vocation terroriste », « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « dégradations en réunion en relation avec une entreprise terroriste ». Certes, il ne s’agit que de « détention provisoire », ce qui doit lui faire une belle jambe et prouve une fois de plus que le provisoire, chez nous, a la vie dure. Mais rappelons plutôt le cas de Roger Delpey, que tout le monde a oublié.

Né en 1926 et mort le 29 décembre 2007 à Luzarches à l’âge de 81 ans, Delpey était un écrivain et un journaliste, plutôt de droite, et un ancien combattant et correspondant de guerre en Indochine. Il fut également président de l’association des anciens du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient. Il avait été un ami de Jean-Bedel Bokassa, président puis « empereur » de Centrafrique (le couronnement du souverain avait été commenté pour la télévision par l’ineffable Elkkabach), ce Bokassa que Giscard, ministre des Finances puis président de la République, appelait « mon cher cousin » parce que Bokassa lui facilitait ses parties de chasse hebdomadaires en Centrafrique. Puis un scandale un peu fabriqué coûta son trône à Bokassa, et Giscard le fit renverser par ses parachutistes, avec pour conséquence inattendue que la fouille du palais présidentiel de Bangui révéla des documents compromettants... pour Giscard ! L’affaire des diamants, lancée par « Le Canard enchaîné », commençait, et elle coûta sa réélection au président français.

Delpey publia alors un livre, La manipulation, qui expliquait comment une commission africaine avait d’abord innocenté Bokassa du crime d’avoir fait tuer « des enfants » (en fait, des lycéens) en janvier et avril 1979, et comment cette commission avait modifié son rapport après un entretien avec Giscard lors de son passage à l’Élysée, le 16 août 1979, concluant cette fois à la culpabilité probable de Bokassa.

En 1980, Giscard se venge, du livre de Delpey, et du grief qu’il lui faisait d’avoir lancé l’affaire des diamants (ce qui était faux, « Le Canard enchaîné » ayant donné le nom de son véritable informateur bien des années plus tard) en faisant arrêter Delpey. Prétexte avancé : on a vu l’écrivain sortir de l’ambassade de Libye à Paris ! C’est une véritable lettre de cachet déguisée, et Delpey va rester sept mois en prison, alors qu’aucune preuve du prétendu « espionnage au profit d’une puissance étrangère » n’a été trouvée.

Delpey racontera tout cela dans un autre livre, Prisonnier de Giscard, en 1982. Ça, c’était du respect de la présomption d’innocence !

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

D
La détention provisoire consiste à mettre à l'écart une personne susceptible de faire pression sur les témoins. L'affaire Elf et tous ses pontes mis à l'ombre en est un exemple, entre autres. On peut dire, en effet, que c'est une résurgence de la lettre de cachet ! Et puis, dans l'affaire Coupat, par exemple, quelle importance qu'un petit "gauchiste" soit en taule... Pèse pas lourd par rapport à la réputation de la ministre de l'Intérieur.
Répondre
Y
<br /> On imagine Coupat « faisant pression » sur les témoins qui n’existent pas. Des affaires de gens mis en taule sans raison, on en trouve à la pelle, de Parrick Dils aux Irlandais de Vincennes.<br /> <br /> <br />