Orelsan est un artiste, Guillon est un lâche
Préambule en forme de précaution oratoire : je n’aime pas le rap. Mes goûts musicaux, en classique, vont de Bach à Gershwin, en passant par Mozart, Beethoven, Chopin... et Offenbach ; et, en chansons, de Brassens à Queen. Donc je ne me délecte pas de ce qui se trouve aujourd’hui « dans les bacs », comme ils disent à la télé, et ne me passe pas « en boucle », comme ils disent à la radio, le dernier « album » – comme ils disent partout – d’Orelsan (pas même de MC Solaar, le Balladur du rap).
Il n’empêche, pas question d’approuver la Région Centre, qui a décidé, paraît-il, d’annuler sa subvention prévue pour le concert du jeune rappeur au Printemps de Bourges le 26avril. Faisons plutôt une comparaison hardie, voulez-vous ?
Dans Horace, Corneille montre un personnage féminin, Camille, dont les trois frères ont été tués en duel par son ancien amant, le jeune Horace. Furibonde, elle le couvre d’injures, et va jusqu’à souhaiter la destruction de la ville qu’il représentait dans ce duel, Rome : « Puisse tous ses voisins, ensemble conjurés, saper ses fondements encore mal assurés »... et massacrer la population entière, par conséquent. Or, je ne sache pas que Corneille ait été accusé d’incitation à la haine ou d’appel au meurtre, et on joue toujours sa pièce, y compris dans des théâtres subventionnés – eux – par l’État. C’est que chacun comprend que Corneille ne visait pas des personnes réelles, mais des personnages fictifs. Bref, que Corneille était un artiste.
Eh bien, je prétends qu’Orelsan, aussi, est un artiste ; que la chanson Sale pute, qu’on lui reproche tant, montre un garçon imaginaire adressant des imprécations (je fais exprès d’employer ce mot) à une fille imaginaire qui l’a trahi, et en des termes vigoureux mais que chacun a pu employer un jour, pour lui souhaiter un sort que chacun a pu souhaiter à l’occasion. Jamais vous n’avez dit « Je ne sais pas ce qui me retient de te tuer » ? Il n’y a donc pas lieu de prendre au premier degré ce qui n’est rien d’autre qu’une œuvre de fiction, qui ne vise personne en particulier.
En revanche, quand Stéphane Guillon dit à la radio que Martine Aubry ressemble à un pot à tabac, ou, à la télévision, que la petite taille de Mimie Mathy fait qu’on peut la confondre avec un ballon de rugby, il s’en prend à des personnes réelles, qu’il n’a aucune raison de harceler car elles ne lui ont rien fait, pour le seul motif qu’il a envie de se faire plaisir sans trop d’effort, de mettre de son côté des rieurs peu exigants, et au risque de les blesser. Stéphane Guillon n’est pas un artiste, c’est simplement un mufle et un lâche.