Le fait du prince
Le soir du samedi 28 août 1982, la cellule anti-terroriste nouvellement créée par Mitterrand, président de la République, faisait une descente à Vincennes, au domicile de trois Irlandais soupçonnés de complicités avec les auteurs de l’attentat de la rue des Rosiers à Paris. Sous le prétexte d’une perquisition, de fausses preuves furent déposées en leur absence par le capitaine Paul Barril, membre de la cellule et adjoint du commandant Prouteau, lequel avait toute la confiance de Mitterrand. Puis les Irlandais furent arrêtés et jetés en prison, où ils restèrent jusqu’au 21 mai 1983. Neuf mois de taule. Or ils étaient totalement innocents.
La fameuse perquisition, faite par des gendarmes, avait été « couverte » par le commandant Beau, agissant sur ordre de ses supérieurs. Il ne dira rien contre eux, ce qui ne lui valut aucune reconnaissance de leur part, puisque, le 22 août suivant, il fut inculpé pour avoir coordonné les fausses déclarations des gendarmes. On le muta à l’ancienne Sécurité Militaire. Or, s’il avait organisé les « réunions de concertation » avant les auditions de ses hommes devant le juge, afin que leur version concorde avec la version de Barril, c’est parce que Prouteau, qui n’était pourtant pas son supérieur hiérarchique, lui avait affirmé que « les instances supérieures désiraient que cette affaire tienne ». Ces « instances supérieures », c’était bien entendu Mitterrand. Beau racontera tout cela à l’inspecteur général de la gendarmerie, le général Boyé, mais le rapport du général, qui critiquait sévèrement l’Élysée, fut classé Secret Défense, donc inutilisable en Justice ! Beau saisit la Commission d’Accès aux Documents Administratifs pour avoir communication du rapport, mais n’obtint qu’un nouveau refus du ministère de la Défense : le document était tellement « secret » qu’il n’était même pas permis à l’intéressé de le consulter sur place.
Beau multiplia alors interviews et déclarations, et il fut sanctionné pour « manquement à l’obligation de réserve ». Une longue séquence de mésaventures diverses commença pour lui. Le 24 septembre 1991, neuf ans après les évènements, le Tribunal Correctionnel de Paris condamna Beau à quinze mois de prison avec sursis pour « subornation de témoins », et autant à Prouteau pour « complicité » du même délit, alors qu’il en était l’instigateur. Il y eut appel le 15 janvier 1992 pour rejuger Beau et Prouteau. Verdict pour Beau, onze mois de prison avec sursis et six mille francs d’amende, mais amnistie de la peine de prison s’il payait son amende. Beau fut chassé de la gendarmerie. Il avait trouvé du travail, mais fut licencié par son employeur en raison de cette condamnation.
En 2008, la Cour de Cassation prononça la clôture définitive de l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée. Huit jours après, une lettre de l’état-major particulier de Nicolas Sarkozy, président de la République, informa le lieutenant-colonel Beau qu’il serait décoré de la Légion d’honneur, et cette nouvelle a été officialisée le mercredi 13 mai 2009. Par le fait du prince et en raison du pouvoir que s’octroie l’État de se protéger en mettant l’embargo sur les documents qui le gênent, le lieutenant-colonel Beau a donc connu vingt-six ans de purgatoire.