Pourquoi Feydeau nous fait rire
Qu’est-ce qui nous fait rire aux pièces de Feydeau ? Deux causes. D’abord, le comique de situation. Ensuite, la satire des mœurs.
Le comique de situation repose sur le principe le plus efficace qui soit : deux personnages qui ne doivent surtout pas se rencontrer sont mis le plus vite possible en présence l’un de l’autre. Il s’ensuit toutes sortes de quiproquos que l’on doit ensuite démêler, ce qui peut mener loin, voire pendant la totalité de la pièce. Ainsi, dans La dame de chez Maxim, le fait qu’une chanteuse et danseuse de beuglant soit prise pour la femme d’un honorable chirurgien par l’oncle à héritage de ce médecin, qui n’ose pas le détromper, entraîne une cascade d’évènements inattendus, et cela dure trois actes et trois heures...
La satire des mœurs, elle, repose sur le contraste entre la personnalité sociale des personnages (neuf sur dix sont des bourgeois, supposés honorables et ne manquant pas d’argent, le dixième restant constitue la caste des domestiques – et presque jamais on ne sort de ce milieu) et les énormités que les dialogues leur font dire. À ce détail, on comprend que les personnages ne doivent surtout pas être caricaturés dans leur apparence physique. Si vous imposez à vos acteurs un comportement de pitres et les revêtez de costumes de clowns, à plus forte raison si vous les travestissez (pas de travestis chez Feydeau ; tout au plus, dans une seule pièce, un acteur jouant un double rôle, bourgeois et domestique, mais tous deux masculins, et pas question de prendre une actrice pour jouer le domestique Étienne !), si vous vous livrez à cette manipulation, disais-je, le contraste recherché par l’auteur est flanqué par terre, et c’est beaucoup moins drôle : la satire disparaît au profit de la pure bouffonnerie.
Ce n’est pas pour rien que Feydeau réglait strictement les indications scéniques, les « didascalies », allant jusqu’à imposer le ton des voix et imaginer les mécanismes permettant de déplacer les accessoires. Si on n’en tient pas compte parce qu’on se croit plus malin que l’auteur, on ruine la mise en scène. Et la remarque de l’auteur – notant que si tel rôle était joué, non par une actrice, mais par « une cabotine », il la laissait libre d’en faire à sa tête – reste valable pour les metteurs en scène !