La mort du pasteur Doucé
Il est toujours désopilant d’entendre un journaliste professionnel prouver – sans le vouloir – que dans son métier, à l’instar des cordonniers perpétuellement mal chaussés, on est en général informé après tout le monde. Avant-hier soir, l’émission de France 2, Faites entrer l’accusé, présentée par le navrant Christophe Hondelatte, s’intéressait à l’assassinat du pasteur Joseph Doucé, qui a eu lieu le 19 juillet 1990. Et Hondelatte avait invité parmi les témoins le journaliste de « France-Soir » Dominique Rizet, qui le premier en avait parlé dans la presse. En toute naïveté, celui-ci avoue qu’il a appris, par un copain policier, l’enlèvement du pasteur, et cela, le 1er août seulement. Il ajoute qu’il ne connaissait pas jusque là l’existence du pasteur. Admirable à plus d’un titre !
D’abord, de la part d’un journaliste de profession, n’avoir jamais entendu parler d’une personnalité aussi médiatique en 1990, cela frise le délire. L’autre côté comique, c’est que, moi qui ne suis pas journaliste, je connaissais cette disparition dès le 20 juillet, le lendemain de l’enlèvement.
En effet, le jour même de cet évènement, j’avais eu au téléphone le pasteur Doucé, qui m’avait fixé un rendez-vous pour le lendemain, 20 juillet, au début de l’après-midi, au Centre du Christ Libérateur qu’il avait fondé 3 rue Clairaut – remplacé aujourd’hui à cette adresse par Radio Néo, une radio sur Internet. C’est en me pointant à ce rendez-vous que j’avais appris sa disparition, par Guy Bondar, son jeune compagnon, passablement inquiet, qui devait alerter la police quelque temps plus tard. L’entrevue entre Bondar et moi s’est passée au rez-de-chaussée, dans la bibliothèque très encombrée où le pasteur recevait ses nombreux visiteurs, et a duré environ une heure. J’ai revu Guy Bondar deux mois plus tard, avant la découverte du corps du pasteur en forêt de Rambouillet, et cette fois, ce fut dans leur cuisine, au premier étage, là où prenaient leurs repas certaines personnes que le CCL hébergeait à l’occasion.
On n’a jamais élucidé cette affaire, qui ressemble assez à l’affaire Ben Barka (enlèvement en plein Paris par deux policiers, disparition définitive de la victime, mort sans doute accidentelle à la suite de violences), mais les journaux se sont copieusement essuyé les pieds sur le pasteur assassiné, sous divers prétextes. Parmi ces prétextes : il aurait favorisé des rendez-vous pédophiles, possédé un fichier qui recensait des personnalités homosexuelles et pédophiles (ce qui donc le rendait dangereux et pouvait expliquer son élimination), et... vendu dans sa librairie Autres Cultures une revue pédophile et néo-nazie, « Gaie France ». Or il se trouve que cette revue, plutôt fauchée, était en vente libre dans les kiosques ! En outre, elle était davantage pédérastique que pédophile, mais la plupart des gens font mal la différence. Or, en 1990, l’âge de la majorité sexuelle était fixé à 15 ans, et les quelques modèles qui y posaient étaient largement au-dessus de cet âge. Le responsable de ladite revue s’appelait Michel Caignet (l’émission présentée par Hondelatte ne citait pas son nom), et je l’ai lui aussi rencontré deux fois, chez lui. Il vivait dans une petite chambre d’un immeuble collectif du dix-huitième arrondissement, en compagnie de son jeune amant polonais et d’un chien berger allemand. Son visage était assez pénible à regarder, car il avait été vitriolé quelques années plus tôt. Officiellement, il était éditeur, mais n’avait ni magasin ni bureau, toute sa production tenait dans une armoire de sa chambre, et il ne vendait que par correspondance. Il est vrai que certains des livres qu’il écoulait étaient proches de la pédophilie, et certains albums de photos collectionnaient des vues d’enfants nus, souvent prises par un photographe « d’art » nommé Bernard Alapetite (sic). Il a d’ailleurs fini en prison en 1997 pour diffusion de films pornographiques pédophiles.
Il est également certain que Caignet était un nostalgique de l’Allemagne nazie, et les articles que publiaient sa revue « Gaie France », interdite en 1992, en disaient long, mais il est parfaitement calomnieux d’associer le pasteur à cette idéologie. Doucé était un militant de la cause homosexuelle, davantage un naïf qu’autre chose.