Réinventer l’histoire

Publié le par Yves-André Samère

Je ne prends pas les acteurs au sérieux, et la manière qu’ils ont de raconter leurs souvenirs dans des livres me fait invariablement marrer.

En ce moment, je lis – avec retard – les souvenirs de Jean-Claude Brialy, Le ruisseau des singes. On sait que Brialy faisait à outrance du name-dropping : il citait sans arrêt des noms célèbres, mentionnant sur un ton détaché que ces gens étaient ses amis. Cette manie faisait beaucoup glousser autour de lui, mais on ne lui en voulait pas, car il était charmant malgré tout.

Dans ce livre, écrit passablement mais sans aucun style et comportant pas mal de bévues, il raconte notamment une anecdote sur Pierre Brasseur et son ivrognerie, laquelle n’était un mystère pour personne ! C’est ainsi qu’un certain soir, en province, Brasseur s’était copieusement saoulé avant de jouer Kean, la pièce d’Alexandre Dumas réécrite par Sartre. Un rôle très lourd... Or Brasseur ne semblait pas en état de jouer, mais il joua quand même et s’en tira bien. Voici comment Brialy rapporte la scène : « L’habilleuse et moi l’aidâmes à revêtir son costume, il se maquilla et descendit sur scène en titubant. [...] Il insista violemment pour taper lui-même les trois coups. [...] Enfin il alla prendre sa place en trébuchant. L’administrateur et moi attendions le désastre et il préparait déjà son texte pour expliquer à la salle que Pierre venait d’avoir un malaise, que les places allaient être remboursées. Le rideau se leva, nous bloquâmes notre respiration, et il entra en scène ». Ensuite, bien entendu, Brasseur « joua pendant trois heures d’une façon magistrale », la routine, tous les acteurs sont géniaux, on connaît la chanson.

Sauf que... Sauf que, dans la pièce, le personnage de Kean joué par Brasseur n’entre pas en scène de cette façon, au lever du rideau comme Brialy le laisse entendre : il n’apparaît qu’au bout de vingt bonnes minutes, son entrée est précédée par une longue séquence où d’autres personnages parlent de lui et du prince de Galles. Et toute la description que fait Brialy du début du spectacle n’a existé que dans son imagination... d’autant plus que lui-même n’a JAMAIS joué dans Kean, cette pièce ayant été donnée en 1953, année où il n’était pas encore acteur !

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :