Achille et « saint » Sébastien
Qu’est-ce qui est le plus dangereux, une flèche dans le bras, ou une dans le talon ? Qui risquait le plus, Achille ou « saint » Sébastien ?
Rappelons d’abord qu’Achille était le fils d’un roi et de la nymphe Thétis, et que celle-ci, afin de le rendre invulnérable, imagina de le tremper dans les eaux du Styx. Or cette gourde ne trouva rien de mieux que de le tenir par le talon durant l’opération, de sorte que, devenu jeune homme et se croyant à l’abri de tout, Achille devint très courageux – un peu comme Cyrano de Bergerac, si fort à l’escrime qu’il pouvait défier tout le monde, et jusqu’à cent hommes à la fois ! Mal lui en prit, le fameux Pâris, « l’homme à la pomme » de La belle Hélène, tua le pauvre Achille d’une flèche dans le talon.
Il faut dire que même à Hollywood, ils ont estimé que c’était dur à gober, et qu’on ne pouvait pas ridiculiser Brad Pitt, qui devait jouer le rôle dans le film Troie, en le faisant mourir de cette façon. Aussi les scénaristes ont-ils préféré le faire cribler de flèches dans la poitrine, ce qui nous ramène à ce malheureux Sébastien.
Lui aussi a connu les honneurs du cinéma, mais pas à Hollywood. C’était en 1976, le film, Sebastiane, a été tourné en Sardaigne, et il parlait... latin – circonstance que je pense unique dans l’histoire du cinéma (dialogues traduits par Jack Welch). Cette pellicule immortelle était d’inspiration entièrement homosexuelle, car le personnage a toujours inspiré les artistes de cette tendance, qui l’ont dessiné et peint des centaines de fois (bref échantillon ICI, et plus fourni LÀ), parce qu’on croit que le supplice censé l’avoir expédié ad patres, il l’avait subi nu. Or, première déception, Sébastien n’est pas mort à la suite de ce supplice ! Il fut soigné, il guérit, et mourut plus tard, roué de coups sur ordre de l’empereur Dioclétien.
Mais figurez-vous que ce matin, je suis allé voir au Musée d’Orsay la grande exposition sur le nu masculin dans les arts entre 1800 et aujourd’hui, laquelle devait fermer ses portes le 2 janvier, mais elle a été prolongée de dix jours (dépêchez-vous d’y aller, elle est formidable). Bien entendu, on y voit quelques tableaux représentant le supplice de Sébastien, et je suis tombé en arrêt devant l’un d’eux, qui ne figure malheureusement pas dans les deux pages référencées plus haut, et intitulé Saint Sébastien agonisant. Or cet agonisant a, en tout et pour tout, UNE flèche qui lui traverse le bras droit ! Peut-on vraiment mourir de ça ? Rappelons que Jésus est censé avoir eu quatre plaies causées par trois clous (ben oui, un seul clou pour les deux pieds), et que, s’il est théoriquement mort en trois heures et demie environ, ce n’est certainement pas de ces blessures-là).
(Oui, je sais, le tétanos. Mais ça prend du temps, et pour un saint ou un prétendu fils de Dieu, mourir du tétanos, ça ne fait pas très sérieux)
En tout cas, moi, j’ai aussi été pris d’inspiration, et illico je me suis mis à peindre ce qui sera certainement mon chef-d’œuvre : Sainte Blandine agonisant après s’être cassé un ongle.