« Aïda », vue d’Orange
Un peu sabotée par les techniciens qu’on entendait échanger des propos dans leurs micros et par des sous-titres cadrés trop bas sur l’écran des téléviseurs, elle était bien étrange, cette mise en scène d’Aïda, opéra de Giuseppe Verdi, retransmise mardi soir depuis le théâtre antique d’Orange. Rappelons à ceux qui ne connaissent pas l’histoire, que cela se passe en Égypte, au temps des pharaons, et qu’Aïda, fille du roi d’Éthiopie mais tombée en captivité, est devenue l’esclave d’Amnéris, la fille du pharaon. La maîtresse et l’esclave sont toutes les deux amoureuses du capitaine Radamès, qui aime secrètement Aïda, mais va être désigné pour être le chef de l’armée chargée de combattre, devinez qui, l’Éthiopie !
Or, lorsque Aïda arrive en scène à l’acte I, dans un décor avec arcades comme dans un pays arabo-musulman, cette esclave est vêtue d’une somptueuse robe de satin décolletée jusqu’au nombril, avec une traîne de deux mètres, que sans doute Elisabeth Taylor aurait trouvée trop luxueuse pour son rôle de Cléopâtre, et de plus, couverte de bijoux, du front jusqu’aux orteils. Cela valait la peine, d’être esclave, au temps des pharaons ! Le roi d’Égypte qui surgit ensuite n’est pas moins pittoresque : coiffé d’un fez comme au temps de Farouk, la poitrine barrée d’une écharpe d’élu municipal, et décorations pendant sur sa poitrine, il est escorté de trois dignitaires en uniforme de l’armée anglaise de l’Empire colonial. Il confie alors sa mission à Radamès, au cri de « Guerre et mort à l’étranger » (je n’invente rien), puis lui ordonne de se rendre « au temple de Vulcain » (je rappelle que nous sommes en Égypte, au temps des pharaons). Après cette exhortation, les soldats, vêtus comme les Bédouins dans Lawrence d’Arabie, turban compris, défilent en levant le poing comme dans un meeting du Parti Communiste au temps de Georges Marchais, tandis que la fille du roi remet au nouveau chef de guerre un « étendard », un drapeau rouge avec le croissant et l’étoile, à croire que l’islam avait devancé l’appel de quelques millénaires pour s’établir en Égypte. Le même emblème qu’à l’acte II, sous forme de petits drapeaux, la foule agite pour saluer le triomphe de Radamès, histoire de montrer que Radamès vaut bien Obama.
Voilà, je ne vous ai décrit que le premier acte. La presse nous avait avertis que la pièce avait été « transposée au Caire du temps du khédive Ismaïl Pacha », ce qui était bien naturel, compte-tenu du texte qui parle sans arrêt de pharaons. Le prodigieux metteur en scène de cette chose s’appelle Charles Roubaud, et je vous donne son nom, pour que vous ne ratiez surtout pas ses prochaines transpositions. Notez qu’avant la représentation, les deux présentateurs du spectacle l’avaient complimenté pour ne s’être autorisé aucune fantaisie, et avaient raillé ces metteurs en scène qui montent des opéras avec figurants « armés de kalachnikoffs »...