Allocution d’anti-vœux
Mes chers compatriotes, ceux d’entre vous qui auront suivi mon discours prononcé le surlendemain de mon élection à la Présidence auront compris que mes promesses de la campagne électorale ne se réduiraient pas à des slogans ou à une suite de vœux pieux.
Or, à propos de vœux pieux, je préfère vous prévenir tout de suite que je ne viendrai pas, après-demain, perturber votre dîner de famille en intervenant à la radio ou à la télévision, pour vous assommer de souhaits dont nous savons tous d’avance qu’ils ne se réaliseront pas ! Bref, je ne suivrai pas la tradition.
Il faut avouer que cette tradition est assez récente : elle a été lancée par Charles De Gaulle, premier président en date de la Cinquième République, et tous ses successeurs ont cru devoir l’imiter ; mais avant lui, cette coutume n’existait pas, et la France s’en passait très bien. Du reste, souvenez-vous des vœux de Charles De Gaulle au soir du 31 décembre 1967 : il prévoyait une année 1968 paisible et sans histoires, et, dès février, il a eu la manifestation des cinéastes de la Terre entière contre un projet de son ministre de la Culture André Malraux ; puis une grève générale en mai ; puis le renvoi de son Premier ministre Georges Pompidou début juillet ; et enfin, sa propre démission l’année suivante !
Car enfin, à quoi riment ces souhaits, qui ne sont guère que des incantations aussi efficaces que la danse de la pluie, ou la pose d’un cierge devant la statue de saint Antoine lorsqu’on a égaré ses clés ou son portefeuille ? Il est temps que les citoyens de ce pays soient traités, par leurs gouvernants, comme des adultes, et non plus comme des enfants en bas âge, susceptibles de croire à n’importe quelle fable. Bref, comme aurait dit mon prédécesseur, je n’ai pas été élu pour jouer au Père Noël, et vous attendez autre chose – peut-être un peu de respect – de la part du chef de l’État.
En conséquence, et pour aussi longtemps que je serai à la tête de cet État, je donne l’instruction à tous les membres du gouvernement, et au premier d’entre eux, de faire appliquer, par tous les services relevant de leurs compétences, la consigne suivante : aucune administration de la République, à commencer par la présidence, n’organisera de cérémonies de présentation des vœux, à destination ou de la part de qui que ce soit. Nous le savons tous très bien, et chacun peut le vérifier : chaque année, le mois de janvier est sinistré par une succession de manifestations inutiles, tapageuses, coûteuses en temps, en argent, en énergie, alors que notre premier devoir, la première justification de notre présence, consistent à travailler pour le bien des citoyens de ce pays. Et rien d’autre.
Merci de m’avoir écouté. À présent, je vous laisse en paix.