Celui qui avait la carte
Comme je le disais dans mon introduction à ce prodigieux cycle consacré au fait d’avoir la carte, le fondement de cette classification est surtout politique, et n’a rien à voir avec le talent. Précisons tout de même que ce privilège joue surtout pour les metteurs en scène de théâtre et de cinéma, qu’il n’est pas négligeable en littérature, mais qu’on l’observe assez peu en musique, en peinture ou dans la haute couture. Chez les acteurs, la situation est particulière, car on en a connu qui étaient carrément de droite, voire d’extrême droite, sans jamais être attaqués où que ce soit. Mais, pour ne pas vous infliger un texte trop long, je vais me cantonner aux metteurs en scène de théâtre et de cinéma.
Mettons les choses au clair : la plupart des critiques de théâtre et de cinéma sont (ou se disent) de gauche, sauf s’ils travaillent au « Figaro », et ne fondent leurs articles que là-dessus. Moyennant quoi, si vous avez, en tant que metteur en scène, donné des gages à la gauche, vous êtes assuré de n’être jamais traîné dans la boue. Le meilleur exemple que je connaisse est celui de Polanski : ce violeur de petite fille, à aucun moment, n’a cessé d’être une vedette du Tout-Paris, et JAMAIS un seul critique professionnel n’a émis à son encontre la moindre réserve. À son égard, il y a deux sortes de comportement. Soit on affecte d’ignorer son ignominie, soit on l’admet du bout des lèvres, avec, immédiatement, la justification traditionnelle : c’est un artiste.
Il y eut aussi, sans l’ignominie morale mais avec une totale absence de talent, ce défunt metteur en scène de théâtre, Antoine Vitez, qui était communiste, et que tout un chacun portait aux nues, sans jamais la moindre réserve sur ses contresens – le type même de metteur en scène qui en sait plus sur les pièces que leurs auteurs. Si vous ne le connaissez pas, il jouait dans ce bon film d’Éric Rohmer, Ma nuit chez Maud, où il interprétait un philosophe. Sur la fin de sa vie, le ministre Jack Lang l’avait nommé administrateur de la Comédie-Française, et il avait eu le cynisme d’y faire jouer une de ses mises en scène, Le mariage de Figaro. Un peu comme si le président du jury au festival de Cannes s’arrangeait pour qu’on attribue la Palme d’or à un de ses films ! Or, comme metteur en scène, il était très mauvais. Mauvais, mais intouchable : il avait la carte. Dans le même genre, Ariane Mnouchkine et Peter Brooks sont eux aussi inattaquables, de même que Jacques Lassalle et Bruno Podalydès. Pour ne rien dire de Jean-François Sivadier, un gâte-sauce qui avait massacré La dame de chez Maxim (pourtant, un de mes copains y jouait un rôle important), et qui exécute Le misanthrope en ce moment à l’Odéon.
Ils sont nombreux, dans le métier, ces benêts. Essayez donc de faire la plus petite réserve sur Scorsese, ou sur Tarantino, par exemple. Or le dernier bon film de Scorsese remonte à La couleur de l’argent, en 1986, et Tarantino n’a jamais produit un seul bon film. La première fois que j’ai écrit sur Scorsese, en 2000, j’avais dit qu’il était mort depuis quinze ans, et que personne n’avait osé le lui dire ! Ceux-là ont la carte, et la garderont jusqu’à la fin.