Celui qui avait perdu la carte
Perdre la carte, dans le monde artistique, c’est rare, mais cela se produit parfois. Je connais deux exemples au moins, et ils concernent Francis Coppola et cette belle tête de Lars qui se fait appeler « von Trier » (il a rajouté le von, qui est une particule, peu avant la fin de ses études).
Coppola, à ses débuts et pendant longtemps, a été un réalisateur de cinéma très estimé. On peut, paradoxalement, dater le début de sa chute lorsqu’il remporta la Palme d’Or au festival de Cannes, en 1979. La présidente du jury, Françoise Sagan, avait estimé que son film couronné, Apocalypse now, ne valait pas grand-chose, et elle avait fait un battage insensé pour qu’on partage le prix avec un film allemand, Le tambour. Le public n’a pas marché, a fait un succès au film de Coppola et largement ignoré le film de Volker Schlöndorff, mais le ver était dans le fruit, et Coppola, dès lors, a perdu quelques galons. Mais comme, ensuite, il s’est mis à aligner les navets, on s’est dit que la chère Françoise avait eu du nez. Depuis, même les partisans les plus convaincus de Coppola osent dire, avec beaucoup de précautions, qu’on ne peut pas être et avoir été...
Lars (von) Trier, je l’ai détesté dès le premier film de lui que j’ai vu, Breaking the waves, sorti en 1996. C’était sinistre et misérabiliste, donc cela plaisait : un homme, handicapé après un accident, poussait sa femme à coucher avec d’autres hommes et à lui raconter tout. Elle prenait cela pour la volonté de Dieu, et s’humiliait tant et plus. Naturellement, ça se terminait très mal. Mais les critiques et une partie du public y ont vu du talent, alors que le réalisateur, devenu fou peu à peu, se proclamait un génie et tentait de promulguer une charte nommée Dogma 95, qu’il a vainement essayé d’imposer à ses confrères, lesquels ne l’ont pas suivi (il voulait notamment que les réalisateurs ne mentionnent plus leur nom au générique, imaginez l’enthousiasme des intéressés, tous plus modestes les uns que les autres !). La chute finale survint au Festival de Cannes de 2011, quand le dingue fit l’éloge d’Hitler en conférence de presse. On lui retira son accréditation au festival, et il fut prié de prendre la porte. En compensation, on donna le prix d’interprétation féminine à son interprète de Melancholia, elle qui, ne s’étant pas foulée, n’en espérait pas tant.