Changer sa vie

Publié le par Yves-André Samère

Il y a un travers très répandu chez les gens connus – ceux qui répondent à des interviews. Comme on leur pose généralement des questions dont l’intelligence dépasse de très loin la moyenne et sont d’une originalité pétillante, je connais toujours leur réponse avant qu’elle soit émise. Non, je ne suis pas plus malin qu’un autre, mais je connais la musique et ne suis pas sourd.

L’une de celles qui reviennent le plus souvent, c’est celle-ci : dans le cas où vous pourriez recommencer votre vie à zéro, qu’est-ce que vous changeriez ? Et, cent fois sur cent, le questionné répond sur ce mode humaniste qu’on attend de lui : qu’il ne changerait rien.

Je me marre...

On n’est pas près de m’interviewer, quoique la chose m’est déjà arrivée une demi-douzaine de fois (j’ai même eu droit à un reportage photographique qui a été publié), mais je refuse désormais de parler à ces blaireaux que sont les journalistes, parce que, tout de même, on ne mélange pas les torchons avec les serviettes, comme disait nos ancêtres. Mais si on le faisait (m’interviewer), je saboterais l’entretien comme j’avais saboté la séance de photos dont je parlais plus haut : je dirais tout le contraire de ce qu’on attend de moi.

– Ce que je changerais dans ma vie ? Tout, ou presque ! Je m’arrangerais d’abord pour naître dans un autre pays, de préférence l’Italie. Je ferais en sorte d’avoir des parents riches et cultivés, ayant lu des milliers de livres, et surtout entendu de la musique avant que je leur casse les oreilles avec la mienne – qui dès lors ne les aurait pas dérangés. Il est probable que je m’accorderais un don pour les langues étrangères, don que je n’ai pas dans cette vie, et assez d’audace pour ne pas attendre l’âge adulte avant d’être capable d’écarter de ma route les innombrables crétins qui ont encombré celle que je vis en ce moment. Bien entendu, je n’irais jamais à l’école, qui vous fait perdre votre temps, vu la vitesse à laquelle on y fait votre instruction en la rebaptisant bêtement éducation (sic). Inutile de dire que je ne recevrais pas d’enseignement religieux, mais que je réclamerais plutôt qu’on m’apprenne à bien manger. En revanche, je ne modifierais pas mon horreur actuelle du sport et des conversations inutiles, non plus que mon aptitude à me payer la tête des gens : je tâcherais plutôt de les accentuer, selon le principe bien connu de Cocteau. Enfin, last but not least, je déciderais, dès mes premiers pas dans la vie, de ne jamais répondre aux questions idiotes.

Et, conclurais-je en direction du journaliste qui serait en train de me cuisiner, je ne serais pas en train de vous parler en ce moment.

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