Cinéphilie meurtrière
Vous n’avez probablement pas oublié que, voici un peu plus d’un an (le 20 juillet 2012), alors qu’on projetait en avant-première, dans un cinéma d’Aurora (banlieue de Denver, aux États-Unis), le troisième opus des aventures de Batman dû à Christopher Nolan – et le moins bon –, les spectateurs, entendant des détonations durant la projection, ont cru à un bruitage faisant partie du film. Mais la foule a été vite détrompée, puisque une douzaine desdits spectateurs sont restés sur le carreau, soit morts sur le coup, soit décédés ensuite de leurs blessures.
L’auteur de la fusillade se nommait John Holmes (un descendant de Sherlock, ou un homonyme de l’acteur porno ?), c’était un étudiant de vingt-quatre ans, il n’avait pas de casier judiciaire, n’avait aucune accointance avec le terrorisme, avait piégé son propre appartement de San Diego, et de tout cela on a conclu un peu vite que ce devait être un fou.
Or j’ai une autre théorie, évidemment raisonnable comme toutes mes théories, mais personne n’a voulu m’écouter. Selon moi, donc, John Holmes était un cinéphile !
D’abord, de toute évidence, ce valeureux garçon avait dû voir et revoir Saboteur, célèbre film d’Alfred Hitchcock (en français, Cinquième colonne, sorti en 1942, très connu parce que la séquence finale se déroule au sommet de la Statue de la Liberté, et parce qu’on y voit notre paquebot « Normandie » couché sur le flanc dans le port de New York, après un incendie). Or, peu avant la fin de ce film, le méchant, Fry, se cache dans un cinéma, le Radio City Music Hall, et ses complices tirent des coups de feu sur le public, lequel croit que cela vient du film qui y est projeté ! Des spectateurs sont atteints, avant que la panique gagne toute la salle. Analogie frappante, par conséquent. Or j’estime que s’inspirer d’Hitchcock pour saboter la première d’un film de Nolan, ce fichu prétentieux, cela part d’un bon sentiment, et ce n’est certes pas l’idée d’un fou.
Ensuite, Holmes devait bien savoir que Marion Cotillard jouait dans le film de Nolan. Et, compatissant, il a dû vouloir épargner aux spectateurs cette cruelle épreuve. C’est si raisonnable que j’aurais pu y penser moi-même, mais je n’ai vu le film qu’en septembre, après avoir traîné les pieds durant un mois et demi.
J’espère pour John Holmes que le titulaire du Prix Nobel de la Paix qui séjourne à la Maison-Blanche ne l’a pas envoyé, lui aussi, à Guantanamo.