Comment interdire un pseudo-artiste
Tout d’abord, réglons la question : oui, Dieudonné viole la loi. Celle punissant le négationnisme (nier l’existence des chambres à gaz) ou l’apologie de la destruction des Juifs par les nazis. Il l’a fait plusieurs fois et a été condamné en justice. Donc les faits sont les faits, n’y revenons pas.
Il a raison, Philippe Bilger, entendu ce matin sur France Inter, il faudrait pouvoir interdire les spectacles de Dieudonné, mais... on ne peut pas ! À moins de changer la loi. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de censure du théâtre, en France, et pour une raison toute simple : si on peut censurer un film qui est terminé et ne peut être modifié selon les circonstances, un spectacle scénique est modifiable à tout instant, et les autorités ne peuvent pas prévoir ce qu’il sera tel ou tel jour. Vous voudriez mettre un huissier dans la salle à chaque représentation, avec si possible une caméra et un magnétophone ? Le trublion sur scène changera son texte, et vous serez bredouille ! Cette censure a priori est à ce point impossible que j’avais naguère relevé cette bouffonnerie : un producteur avait fait jouer au Cirque d’Hiver une adaptation scénique du film Orange mécanique, que j’ai encore cité avant-hier, et avait fait inscrire sur les affiches, afin de rameuter le public, la mention « Interdit au moins de seize ans ». C’était une imposture, et je me suis laissé dire que le truc n’avait pas marché. Sur une scène, on peut uriner (cela s’est vu au Théâtre de la Ville, qui est municipal, dans un spectacle de Jan Fabre), se masturber, s’autosodomiser avec un gadget dans un spectacle de « danse » (même théâtre), voire copuler réellement, et bien sûr jouer nu (on a même vu au défunt Théâtre du Globe le Chéri de Colette joué ainsi), mais on ne peut pas interdire ces formes d’« art ».
Interdire a posteriori, pour trouble à l’ordre public ? Il faudrait qu’il y ait une émeute devant le théâtre chaque fois que Dieudonné s’y produit. Qui se chargera de l’organiser, cette émeute, le ministre de l’Intérieur ? Ce serait rigolo, non ?
Alors, audit ministre, reste une possibilité que je lui suggère modestement, car il n’est pas interdit d’être aussi rusé que celui qu’on veut faire taire : les salles de spectacle DOIVENT satisfaire à certaines règles de sécurité, dont l’obligation d’avoir suffisamment de sorties de secours en cas d’incendie. Le théâtre de la Main d’Or où joue Dieudonné – puisque la salle lui est louée par le propriétaire, et à titre permanent –, je le connais pour y être allé (non, pas pour voir Dieudonné, j’étais invité par un autre humoriste dont j’ai oublié le nom). Et il n’a pas de sortie de secours. Je sais bien que beaucoup de petits théâtres, à Paris, n’en ont pas non plus, comme le Théâtre du Temple ou le Point-Virgule, qui sont minuscules et ouvrent directement sur la rue, mais la préfecture de police ferme les yeux. Or elle pourrait les rouvrir, les yeux, dans ce cas précis, et il n’y aurait aucune parade, la salle devrait fermer ses portes. Naturellement, c’est valable aussi en province.