Connaître la fin d’un film
Vous connaissez tous l’adage garcinesque et bien-pensant : il ne faut pas raconter la fin des films, ça tue leur intérêt pour ceux qui ne l’ont pas encore vu.
Naturellement, je conteste ce point de vue frileux : si le seul intérêt d’un film, c’était sa fin, pourquoi reverrait-on ceux qu’on a déjà vus ? Pourquoi irait-on voir les films basés sur l’Histoire ? (Surtout, ne me racontez pas la fin de Jeanne d’Arc ! Et ne me dites pas si Jésus a fini crucifié ou s’il est parti en voyage de noces avec Marie-Madeleine !) Étendons la question à d’autres activités : pourquoi écouterait-on plusieurs fois le même morceau de musique (Hé, je sais bien comment se termine la Cinquième du gros Ludwig, même s’il a du mal à finir) ou la même chanson ? Pourquoi relirait-on un livre ? Pourquoi copulerait-on deux fois avec l’être aimé ? Pourquoi reprendrait-on des moules, et même trois fois, comme Desproges le jour où on a enterré Tino Rossi, puisqu’on en connaît déjà le goût ? Des moules, pas de Tino Rossi. Etc.
Mais revenons aux films. Lorsque son film Elephant est sorti, en octobre 2003, après avoir décroché en mai la Palme d’Or du festival de Cannes, on a posé cette question à Gus Van Sant : « Comment réussissez-vous à faire progresser la tension dans Elephant en montrant une journée qu’on pourrait penser comme les autres ? ». Réponse du petit génie, sans doute amateur d’enfonçage de porte ouverte : « Le spectateur se doute [tu parles !], même s’il a peu d’information [les journaux ne parlaient que de ça], que l’histoire porte en elle une certaine violence et qu’il va se passer quelque chose. [...] J’ai cependant montré deux ou trois détails qui la suggèrent, par exemple lorsque les garçons reçoivent le fusil par la poste ». Et c’est certain qu’à ce stade de l’histoire, et avec un « détail » aussi discret, si le spectateur n’avait pas compris, il était mûr pour s’inscrire comme militant de base à l’UMP ! Mais la question est ailleurs, et me ramène à mon sujet : supposez un instant qu’aucun journal, qu’aucune publicité, n’ait divulgué la fin de ce film, c’est-à-dire que les deux lycéens ont massacré leurs camarades de classe avec le fusil reçu par la poste. Vous pensez que le public serait allé le voir ? En fait, il s’y est bousculé pour voir COMMENT on en arrivait là. Autrement dit, ce qui compte, ce ne sont pas les épilogues, mais la manière dont ils sont amenés. Ce qu’on appelle la mise en scène.
Voilà donc un exemple démontrant que connaître la fin d’un film attire le public, au lieu de le décourager.