Couvrez ces saints (qui n’existent pas) !
Aviad Kleinberg est un historien israélien, spécialiste de l’histoire des religions et qui enseigne à Tel-Aviv. On peut trouver son Histoire des saints chez Gallimard, où il a été publié en 2005.
Dans ce livre, Kleinberg donne une théorie intéressante sur la profusion des saints dans la religion chrétienne, profusion propre à cette religion, puisque les autres n’ont pas de « saints » – même si l’islam a ses marabouts, que d’ailleurs certains sunnites considèrent comme des mécréants (en Afrique noire, ce sont simplement des sorciers). Et puis, contrairement aux saints chrétiens, les marabouts sont vénérés de leur vivant ; à leur mort, on respecte leur tombe, mais on ne leur attribue aucun pouvoir d’intercession auprès de Dieu !
La théorie de Kleinberg est la suivante : la religion chrétienne est née en Palestine et s’est d’abord étendue dans les environs. Là où elle a fait des adeptes, les autres religions qui préexistaient ont perdu de leurs fidèles, mais les nouveaux convertis regrettaient au moins la disparition des multiples dieux de leur ancien culte. Pensez aux Romains et aux Grecs. Pour ne pas les dérouter et pour éviter de perdre leur clientèle, les pères de la chrétienté se sont résolus à favoriser l’essor de demi-dieux, et, naturellement, Marie a pris une place prépondérante, car elle était la mieux placée. Celle-ci a donc acquis de facto le statut de déesse, même si l’Église ne reconnaît pas ce coup de pouce aux dogmes initiaux (il n’y a rien dans la Bible qui justifie un culte à Marie). Mais Marie a été sanctifiée beaucoup plus tard, et on considère que le premier saint fut Étienne, lapidé à cause de son opposition au Sanhédrin, cette assemblée législative du peuple juif, également tribunal, celui-là même qui a exigé de Ponce Pilate la condamnation de Jésus.
Bref, les saints ont servi de substituts aux anciens dieux. Mais il y eut énormément d’abus, et certains saints sont bidons, au point qu’il a fallu que le Vatican procède à un petit toilettage de la liste. Voyez par exemple saint Christophe, désigné comme protecteur des voyageurs, puis... des automobilistes ! Or ce personnage relève de la légende, et il a été retiré du calendrier chrétien (par le pape Paul VI, si je suis bien renseigné, avec d’autres, comme les deux prétendues saintes dont Jeanne d’Arc aurait entendu les voix, sainte Marguerite et sainte Catherine).