Déboulonnons : Marie (1)
Il a fallu près d’une vingtaine de siècles pour que Marie, mère de Jésus, à l’origine petite bonne femme palestinienne juive sans rien de particulier, accède au statut de déesse dans l’imagerie populaire. Car, au départ, c’était loin d’être gagné !
Les premiers textes chrétiens ne fournissent sur elle que des données infimes, vagues, parfois contradictoires. Les quatorze Épîtres de saint Paul, qui vécut entre -2 et 66, ne la mentionnent pas. Les quatre évangiles canoniques, c’est-à-dire officiels, écrits probablement entre 98 et 145, ne la citent que dans quelques versets ; Marc, notamment, qui a écrit le tout premier évangile connu, ne la met jamais en scène, il y fait seulement allusion de manière indirecte. Les deux généalogies de Jésus, celle de Luc et celle de Matthieu, qui d’ailleurs se contredisent mutuellement, aboutissent, non à Marie, mais à Joseph, « descendant du roi David », et compagnon de Marie (un des évangélistes dit qu’elle était sa femme, un autre prétend qu’elle était seulement sa fiancée, et ils en restent là). Ces deux généalogies, naïvement, voulaient « prouver » que Jésus était de famille royale, thèse qui s’oppose à la fois au dogme de « Jésus fils de Dieu », et à celui de sa conception « par l’opération du Saint-Esprit » : qu’avait-il besoin, dans ce cas, de descendre d’un roi... par son beau-père ?
La Marie des évangiles canoniques ne croit guère à la mission de Jésus, lequel se montre d’ailleurs distant et même hautain avec elle. C’est ainsi que, dans l’épisode des noces de Cana, il est franchement désobligeant à son égard : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre toi et moi ? », lui lance-t-il (Jean, chapitre II, verset 4). Et, quand quelqu’un lui dit que sa mère et ses frères sont dehors et veulent lui parler, il répond : « Qui est ma mère, qui sont mes frères ? », puis, désignant ses disciples : « Voici ma mère et mes frères ! ». Croyant qu’il a « l’esprit dérangé », elle veut d’ailleurs l’arracher à ceux qui l’écoutent. Et les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) ne mentionnent pas sa présence au pied de la croix ; cette scène n’est suggérée que par Jean, en deux mots : « Stabat mater », dans la traduction latine.
Quant au pauvre Joseph, c’est le grand sacrifié de la prétendue « sainte famille » : on le mentionne à peine, nul ne donne aucun détail sur sa personne, et on ne sait pas ce qu’il est devenu, car il disparaît de la circulation sitôt passé l’épisode de Jésus oublié au temple de Jérusalem. Vexant, pour le père du fils de Dieu !