Déboulonnons : Polanski
Janvier 1948, aux États-Unis. Caryl Chessman, « soupçonné » (c’est ainsi qu’on dit de nos jours, mais pas à cette époque) de plusieurs braquages et viols, est arrêté, signe des aveux qu’ensuite il affirmera lui avoir été arrachés par la police, on le juge, et on le condamne à mort. Cet verdict sévère vient de ce que, depuis l’enlèvement du bébé Lindbergh en 1932, tout kidnapping est passible de la peine de mort, y compris si cet acte a consisté seulement à... forcer quelqu’un à monter dans une voiture ! Ce qui était le cas de Chessman. Soulignons que Chessman n’a jamais tué personne.
En prison, Chessman étudie, notamment le droit, écrit trois livres pour présenter son affaire, plus un roman, Face à la justice (en anglais, The kid was a killer). Ces livres sont lus dans le monde entier. Chessman a changé, ce n’est plus un petit voyou minable, il est devenu un intellectuel, qui proclame son innocence. Mais, après plusieurs reports de son exécution, et au bout de douze ans, il passe dans la chambre à gaz le 2 mai 1960. Voir ICI une conférence de presse qu’il a donnée trois heures avant l’avant-dernier report.
Mars 1977, toujours en Californie, sur Mulholland Drive, quartier ultra-chic de Los Angeles. Dans la villa de Jack Nicholson, absent, se trouvent deux personnes, Roman Polanski, le cinéaste, et Samantha Geimer, âgée de treize ans. Prétexte : Polanski veut faire des photos d’elle. Mais il fait boire du champagne à la fille, lui donne un Quaalude (un sédatif), elle s’endort, et il la sodomise dans le jacuzzi. Mise au courant, la mère de Samantha porte plainte le 10 mars, mais les journaux s’acharnent sur... la victime, « présentée comme la petite salope qui voulait profiter du réalisateur célèbre », et sa mère « comme la maquerelle n’hésitant pas à monnayer sa fille pour faire carrière » !
Quoi qu’il en soit, Polanski est arrêté, et on lui oppose six chefs d’inculpation : fourniture de substance réglementée à une mineure ; actes obscènes sur un enfant de moins de 14 ans ; relations sexuelles illicites ; viol par usage de drogue ; perversion ; et sodomie. Il accepte de plaider coupable, procédé local (que Sarkozy avait tenté d’imposer en France) permettant d’éviter le procès et de négocier une peine atténuée, mais seulement pour « relation sexuelle illicite avec un mineur », ce que le procureur accepte, et Polanski fait... quarante-deux jours de prison. Puis, sur sa promesse de revenir, le juge lui accorde la permission de se rendre en Europe afin d’y faire un film. Bien entendu, il ne revient pas et s’installe à Paris, où il est né. En 1988, onze ans après le viol, Samantha le poursuit, parce qu’elle est dans la dèche et a trois enfants à charge, et, cinq ans plus tard, elle obtient une indemnisation de cinq cent mille dollars, qu’on a présentée comme une manière de l’inciter à se taire, ce qui est totalement faux (elle a ensuite publié un livre sur l’affaire, avec... l’autorisation de Polanski – ils correspondent par courrier électronique).
Lorsqu’en 2009, les Suisses, sur demande des États-Unis, le coffrent alors qu’il séjournait dans ce paradis pour milliardaires qu’est Gstaad, le Tout-Paris, ministre de la Culture y compris, s’insurge de ce qu’on traite injustement un « grand artiste ». La Suisse refuse de l’extrader, et le libère au bout de quelques mois.
Aujourd’hui, le violeur de gamine et pourvoyeur de drogue est la vedette des médias qui le mettent en couverture des magazines (voir « Vanity Fair » l’année dernière), et on le couvre de récompenses. Chessman, lui, qui n’avait violé que des filles MAJEURES, et sans leur fournir de drogue, a été exécuté, il est mort et enterré. Son seul souvenir subsiste dans un fabuleux roman policier de Shane Stevens, Au-delà du mal (en anglais, For reason of insanity), que je vous engage à lire si vous êtes fatigués des bouquins de la mère Pancol et des joyeux duettistes Marc Levy et Guillaume Musso.