Dèche collective
À ma naissance, une méchante fée s’est connectée sur mon berceau (on ne se penche plus sur les berceaux), et m’a lancé une malédiction : « Tu croiseras souvent des célébrités, mais elles auront toutes l’air de se trouver dans la dèche ».
La malédiction s’est réalisée, puisque je vis à Paris. Ainsi, voilà quelques années, j’ai croisé Romane Bohringer au carrefour de la rue de Rennes et du boulevard Montparnasse. Pas coiffée, pas lavée, elle était vêtue comme une madame Irma et tenait par la main deux petits enfants qui semblaient débarquer tout droit de Bucarest – et pas des beaux quartiers. Personne ne faisait attention à elle. L’année dernière, c’est son père que j’ai failli heurter, sur un trottoir de la même rue de Rennes, dans le quartier le plus cher de la capitale, Saint-Sulpice. Il titubait, comme s’il venait de faire une rencontre prolongée avec une bouteille de whisky. Personne ne faisait attention à lui. Il y a deux mois, c’est Michel Lonsdale que j’ai croisé, rue de Vaugirard, vêtu comme un clochard, et qui donnait des coups de pied à un papier gras comme pour l’expulser dans le caniveau (quelques semaines plus tard, je fus rassuré, on lui donnait je ne sais quel César d’honneur au théâtre du Châtelet). Personne ne se retournait sur ce clochard ennemi de la pollution urbaine. Et aujourd’hui, c’est James Thiérrée qui traînait sur le trottoir du théâtre de la Ville, où il passe chaque année. Lui aussi, pas rasé, pas coiffé, habillé de loques, mais à jeun, ce qui semble exceptionnel dans le monde artistique. Mais lui, personne ne le reconnaît jamais, alors que c’est un immense artiste !
Je me demande si ma seule présence ne porte pas la poisse à ces malheureux.